Kip Fulbeck : dépasser les clichés de l’identité « hapa »

Le cinéaste, photographe et slameur Kip Fulbeck explore la question de la culture et de l’identité hapa, dont il est un des représentants, par le biais d’une exposition photographique intitulée Kip Fulbeck: part asian, 100% hapa. Présentée sous la forme d’une série de portraits, parfois inattendus et visibles pour la première fois au Canada, l’expo se tient jusqu’au 4 janvier 2015 au Nikkei National Museum and Cultural Centre.

Le terme hawaïen hapa (proche de « métis »), utilisé péjorativement au temps de la ségrégation raciale pour qualifier les personnes ayant une part d’ascendance asiatique ou des îles du Pacifique, désigne aujourd’hui une identité multiethnique revendiquée. Beth Carter, directrice et curatrice du centre culturel nippon à Burnaby, est fière d’accueillir cette exposition qui fait écho à une réalité sociale et culturelle. « Au sein de la communauté japonaise canadienne de la Colombie-Britannique, il y a 95 % de mariages interculturels, le taux le plus fort au Canada. » Cette réalité résulte de l’histoire de l’immigration asiatique, qui a débuté dès les années 1870. En présentant les travaux de Kip Fulbeck, né en 1965, d’origines chinoise, irlandaise et galloise, le centre culturel offre un espace de connexion permettant de faire connaître et vivre un héritage auprès des hapas, de plus en plus nombreux.

Une démarche interactive

« Venez ici, nous allons prendre une photo, vous choisissez celle que vous aimez, puis vous écrivez votre réponse à la question : “Qu’êtes-vous?” »* Cette question un peu déplacée, Kip a dû y répondre de nombreuse fois. « Je ne pourrais pas le faire en une demi-page, vous plaisantez ! Ce que je suis ? »* Difficile de se définir en quelques mots, surtout quand sa propre identité ne correspond pas aux schémas préétablis, que la réponse unique n’existe pas. Seul membre hapa de sa famille, il a voulu rencontrer des personnes ayant connu les mêmes stigmatisations. Voilà comment plus de 1 200 personnes hapas ont participé au projet qu’il porte depuis 2001. Les portraits sont volontairement neutres, sans maquillage, ni accessoire ou expression particulière, les épaules dénudées. Comme il l’explique :
« Nous devons constamment prouver ce que nous sommes, avec les passeports par exemple. Je voulais jouer avec cette méthode établie de l’identification, mais en donnant aux participants le pouvoir de choisir leurs propres images et leurs propres mots. »* C’est pourquoi des déclarations manuscrites déclinant l’identité des sujets photographiés accompagnent chaque portrait, tout comme la liste des origines ethniques dont chacun est le fruit.

Ludique et accessible, l’exposition permet à chaque visiteur de se prendre en photo, puis de rédiger sa propre réponse à la question pour ensuite poster le cliché sur les réseaux sociaux du projet. Ainsi, celui-ci reste en perpétuel mouvement. Beth Carter raconte qu’un homme est déjà venu trois fois à l’exposition, avec trois réponses différentes : « Il a eu matière à penser. » 80 portraits sélectionnés de personnes de tous âges et de toutes origines, 80 façons différentes de décliner son identité, comme cet homme qui pense qu’il est à l’image de la société de 2500.

Fragments du projet de Kop Fulbeck |  NV%20-%20Kip%20Fulbeck%202.tif Photos par Kip Fulbeck

Fragments du projet de Kop Fulbeck | Photos par Kip Fulbeck

L’identité hapa, ce que je suis, ce que je décide d’être

Kip Fulbeck transforme son expérience en revendication identitaire, refusant de choisir une origine plus qu’une autre. Il s’agit pour lui de dépasser la question de l’ethnicité au profit de celle de l’identité : « Je suis américain d’origine asiatique, certes, mais je suis avant tout hapa. »* Refusant d’être défini par des stéréotypes, l’artiste est catégorique sur ce point : « L’identité est un processus personnel, elle doit être une décision personnelle, pas celle décrétée par une communauté ou une autre. »* Partant du postulat que l’identité est en évolution constante, il a refusé au cours du projet d’affirmer qui pouvait ou non y participer du fait de ses origines, un droit qu’il ne peut s’autoriser.

Kip Fulbeck s’est rendu compte que questionner son identité pouvait faire ressurgir des choses
du passé. Il a vu des personnes froisser bon nombre de feuilles avant d’être satisfaites d’une réponse : « C’est quelque chose de puissant, définir réellement qui vous êtes. »* Cette démarche artistique n’est pas anodine et permet aux hapas de se reconnaître en tant que tels et de désamorcer certains mythes véhiculés, comme la beauté des métis. L’exposition constitue un espace qui célèbre les différences. Et pour finir, vous, Kip Fulbeck, qu’êtes-vous ? « Je suis un artiste, un enseignant et un étudiant. La plupart du temps. Vous ne pouvez pas échapper à qui vous êtes. »*

Kip Fulbeck: part asian, 100% hapa
N
ikkei National Museum and Cultural Centre
Jusqu’au 4 janvier
www.centre.nikkeiplace.org
www.kipfulbeck.com/the-hapa-project

*Toutes les citations de Kip Fulbeck sont tirées d’une entrevue accordée à Jim Bower en 2006, disponible sur la plateforme Discover Nikkei – Japanese migrants and their descendants : www.discovernikkei.org.