Cultiver la persistance pour triompher de l’aliénation

Photo par Sario Reale, Flickr

Photo par Sario Reale, Flickr

En cette ère d’hyper-connectivité, tisser de nouveaux liens ne devrait pas être aussi ardu. Les réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les outils de réseautage, les lieux et occasions de rencontre ne manquent pourtant pas ici à Vancouver. Une ville où les gens arrivent d’ailleurs depuis longtemps, donc doivent développer de nouveaux réseaux et apprendre les codes nécessaires pour « s’intégrer ».

Une vaste métropole aussi de grande diversité culturelle et linguistique où le coût de la vie est le plus cher au Canada et où les gens doivent entrer en compétition pour le travail, le logement et les « partenaires ».
Ville devenue inabordable au point que la progéniture locale doive souvent s’en exiler, les grands employeurs en sont disparus depuis longtemps. Vancouver n’échappe pas à la modernité, la délocalisation et l’individualisme. L’océan, les montagnes, l’air frais et toute cette mosaïque culturelle suffisent rarement, passée la « lune de miel ». Les maux sociaux peuvent ronger : découragement, apathie, dépression, drogue, alcool, retranchement, solitude, évasion, violence, narcissisme, corruption et criminalité. Somme toute, différentes manifestations de l’aliénation.

Les fervents du forum de la diversité, entre autres, reconnaîtront que, passé le brise-glace d’un “verbatim”, la traction n’est pas facile pour apprendre ces codes. Par exemple, comment s’identifier, à qui s’adresser, quels sont les non-dits, comment échanger, comment les réseaux se forment-ils, ou comment le « flambeau » se passe-t-il ? Or les rôle-modèles sont difficiles à identifier. Ceux qui précèdent laissent peu de traces, que ça soit au sujet de leur patelin d’origine, leur occupation, leur localité, etc. Bref, peu de liens possibles. Bien sûr, certains fortunés s’en tirent bien, selon cette loi de la « survie du plus fort. »

Les forces vives affectant une société se manifestent plus expressément parmi ses minorités les plus marginales. Le cas des nouveaux arrivants de la grande francophonie en tant que « canaris dans la mine de charbon » devient donc fascinant. Ne serait-il pas utile par exemple pour un nouvel arrivant dans le domaine de l’éducation de savoir comment ceux qui l’ont précédé ont pu se distinguer, qu’ils soient de l’après-guerre, de la période coloniale ou parmi les premiers pionniers. Pareillement en matière de santé, justice, gouvernance, culture, commerce, environnement, médias, etc. Ne serait-il pas inspirant de connaître ces groupes venus de partout qui se sont retroussé les manches ne sachant pas le plus souvent où ils se dirigeaient, ont surmonté l’adversité, et ont contribué à bâtir la Colombie, bien au-delà des premiers groupes franco-métissés d’exploration autour d’Alex Mackenzie, David Thompson, Simon Fraser, des premiers établissements de commerce, de transport, d’hôtellerie et restauration, de mines et forêts, d’entreprises et syndicats, de sciences et technologies, d’arts et spectacles, etc. Ne serait-il pas utile de savoir comment ceux qui vous ont précédé à différentes périodes de l’histoire en provenance de votre patelin d’origine ont-ils pu surmonter les obstacles ? Ou ceux qui vous ont précédé géographiquement dans votre localité. Tisser des liens, apprendre les codes, comment donc ?

La principale manifestation de l’aliénation en matière d’immigration de la francophonie est cette rupture abrupte des souches résultant en une assimilation linguistique et culturelle implacable la plupart du temps. On invoque volontiers des problèmes de « rétention » de nos jeunes passé le Primaire, qu’ils soient du programme francophone ou de l’immersion. L’absence de rôles-modèles pertinents est souvent regrettée. Le peu d’intérêt dans les affaires publiques est notable. Cette impression de déjà-vu :
ne pas savoir où va la barque.

L’institutionnalisation de la francophonie devait jadis en assurer la pérennité. Mais à quoi bon quand elle évacue ses pionniers et principaux acteurs pour faire toute la place à la bureaucratie, au langage de « plans d’action », de « feuille de route », et de « plan de développement global » au gré du bailleur de fonds ? Et maintenant ce régime minceur de coupures … global.

« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde », le poids-lourd Gandhi nous enseignait-il. Pourrions-nous alors mieux cultiver la persistance pour triompher de cette aliénation et tisser des liens durables ?

Ancien travailleur en cartographie numérique et en télécommunications, Réjean Beaulieu s’intéresse depuis plus de 10 ans à la francophonie en milieu minoritaire. Il s’affaire depuis quelques semaines à une nouvelle initiative intitulée #Persistance. Saurez-vous en trouver des traces ?