MOA : Canciones de las Madres/Songs of the Mothers : Laisser parler l’intimité des mots maternels du Chili

L’exposition Canciones de las Madres. | Photo de Museum of Anthropology

L’exposition Canciones de las Madres. | Photo de Museum of Anthropology

Il existe de grandes histoires qui font bouger les petites, des évènements qui bouleversent des vies, et des mots qui témoignent de ces expériences traversant les générations. Immigrer au Canada pour fuir la dictature chilienne est l’une de ces histoires. Jusqu’au 27 mars 2016, le musée d’anthropologie de Vancouver donne la parole à Ida, Llanca et Paz, trois générations de femmes d’une même famille, qui racontent ce qu’elles souhaitent transmettre à leurs enfants de leur expérience de vie par le biais d’une installation audio intitulée Canciones de las Madres/Songs of the Mothers.

On estime la diaspora chilienne à la suite du coup d’état d’Augusto Pinochet en 1973 entre 500 000 et 1 million de personnes. L’histoire de ces femmes réfugiées au Canada et de leur famille est à la fois singulière et universelle, d’où la force des mots.

Perpétuer la tradition orale

En utilisant les nouvelles technologies mais en misant sur l’oralité, l’artiste Cherie Moses, initiatrice du projet, souhaite retranscrire une histoire de femmes sur trois générations. Elle met en scène 13 minutes d’enregistrement qui touchent à l’intime.

Cherie et Llanca étant amies de longue date, il n’a pas fallu beaucoup de temps pour convaincre Ida, Llanca et Paz de se lancer dans l’aventure. Paz, la petite-fille d’Ida et fille de Llanca, indique que ça a été « difficile à écouter une fois que c’était fait, car c’est très émouvant. »

Cherie Moses explore ainsi ses thèmes de prédilection tels que l’identité, l’immigration, la dualité culturelle, l’amour, le danger, et bien d’autres : en tout, ce sont près de 25 thèmes qui sont abordés. « Que dirais-tu à tes enfants si tu étais sur le point de mourir ? » est la seule consigne de départ. Il en résulte une parole directe, brute, bienveillante, mais surtout un héritage empreint d’émotion.

L’anglais et l’espagnol s’entremêlent, donnant aux mots une autre dimension que leur sens premier, ces mots qui accompagneront leurs enfants comme une petite musique entêtante, d’où le titre. Trois voix, trois femmes, un croisement de trois perceptions. Au moment de l’enregistrement, Ida, qui a plus de 90 ans et dont l’âge avancé a rendu le témoignage spécial pour la famille, Llanca, 69 ans, et Paz, 37 ans, partagent leurs sentiments, parlent de leurs pays et se redécouvrent, au détour des mots de chacune.

A travers une lignée de femmes

Plus que les membres d’une même famille, Ida, Llanca et Paz se révèlent en tant que personnes et non seulement en tant que mères. Llanca a fui le Chili avec sa fille. Ida, sa mère, les a rejointes trois ans après. Parler à ses enfants de la vie, c’est avant tout retraverser sa propre vie. Paz a ouvert les yeux plus grand sur le parcours familial : « Ma mère, à un moment donné, a pris la décision de quitter le Chili, elle m’a prise avec elle et est partie. Ma grand-mère avait plus de 70 ans, venir au Canada avec tout ce que cela représente comme bouleversements, ça m’a ramenée à ce courage. » Comme une prise de conscience de ce qui est transmis et de ce qui est devenu. Elle change également de regard : « Vous ne regardez pas les gens de votre famille comme des gens, votre mère est votre mère, votre grand-mère est votre grand-mère, et soudain vous les regardez comme des personnes différentes. »

La superposition des voix et des langues, la résonance des mots, mettent en lumière des mécanismes identitaires plus profonds qu’il n’y paraît au premier abord. Paz constate avec surprise que sa voix change complètement selon qu’elle s’exprime en espagnol ou en anglais. Comme une autre part de l’identité qui se manifeste dont elle n’avait pas conscience. Ainsi, comme elle le fait remarquer : « cela m’a aidée à comprendre que le Chili est mon histoire, le Canada est le commencement. Je me sens à un croisement, car pour moi quand je vais au Chili je ne suis pas chilienne, mais au Canada je ne suis pas canadienne, donc je dois faire avec. »

Entre héritage et autre perception de soi-même, Canciones de las Madres/Songs of the Mothers fait vivre des mélodies féminines intimes et les rend publiques, offrant de nouvelles perceptions sur le parcours d’une vie et les empreintes qu’elle laisse. Comme une bande-son à laquelle il devient possible de s’identifier, quelle que soit son histoire.

 

Canciones de las Madres/Songs of the Mothers

Jusqu’au 27 mars 2016 au MOA

www.moa.ubc.ca