En Turquie, le tourisme a tout pour réussir, des bâtiments historiques de réputation mondiale, un climat agréable, des prix moins élevés que dans les pays de la zone euro, une population réputée accueillante et une situation géographique qui la place à côté des grands marchés que sont la Russie, les pétro-monarchies arabes et l’Union européenne. Si l’on ajoute à cela une gastronomie reconnue et de bonnes infrastructures de transports, on ne s’étonne pas de trouver la Turquie parmi les grands du tourisme mondial.
Avec plus de trente millions de visiteurs en 2015 qui ont rapporté trente-cinq milliards de dollars au pays, la Turquie s’est hissée au douzième rang mondial en ce qui concerne le revenu touristique. Pourtant, il y a quelques semaines, le grand quotidien turc titrait « 2016 sera une année perdue pour le tourisme ». Qu’est-ce qui justifie un tel pessimisme ? On aurait peut-être tort de penser que le mal provient seulement des attaques terroristes qui ont endeuillé la Turquie ces derniers mois. La politique du président Recep Tayyip Erdogan y est pour beaucoup.
Pourtant, il y a quelques années, la presse occidentale ne tarissait pas d’éloges pour la Turquie et son leader islamiste « modéré ». Les journaux d’affaires applaudissaient la croissance économique de ce pays nouvellement ouvert aux joies du libéralisme. Pendant la période dite du « printemps arabe » certains voyaient la Turquie comme la preuve qu’un pays musulman dirigé par un parti islamiste pouvait être démocratique, ouvert, moderne et paisible. Mais depuis, l’image du pays a beaucoup changé, et le tourisme en souffre. La Turquie n’est plus perçue comme la région des douces vacances au soleil mais comme le pays qui a repris la répression des Kurdes, qui a fait des alliances douteuses avec des islamistes syriens, qui emprisonne les journalistes (une trentaine à l’heure actuelle), qui ferme les médias jugés trop critiques et emprisonne des opposants politiques.
Rien de cela ne devrait empêcher un touriste de se faire bronzer sur les plages d’Antalya, mais le choix d’une destination touristique ne se fait pas sur la seule base de l’analyse logique. C’est aussi une question d’image, or l’image de marque de la Turquie n’est plus ce qu’elle était. De plus, la Turquie a abattu un avion de chasse russe à la frontière syrienne. La tension entre Ankara et Moscou est vite montée et les Russes ont presque complètement cessé de venir en vacances chez les Turcs. La Russie était le principal marché touristique pour la Turquie. Selon la presse turque, la perte de ce marché se chiffrera à quelque dix milliards de dollars cette année. Quand un attentat terroriste à Istanbul a tué une dizaine de touristes allemands, les Turcs qui vivent du tourisme ont sombré dans la déprime car l’Allemagne est le deuxième marché touristique du pays.
Depuis, les responsables du tourisme turc ont beau expliquer, chiffres à l’appui, que leur pays demeure une destination sécuritaire, ils n’arrivent pas à renverser la tendance. La Turquie a beau avoir un petit bout de son territoire en Europe, les Européens la voient de plus en plus comme un pays musulman du Proche-Orient et cela leur fait peur. Depuis les attentats d’Égypte et de Tunisie, qui visaient spécifiquement les touristes étrangers, le tourisme est en perte de vitesse dans tous les pays musulmans du bassin méditerranéen, même au Maroc, pourtant peu touché par ce type de violence.
Le malheur des uns fait le bonheur des autres et les hôtels du Portugal, des îles Canaries et des îles du Cap Vert enregistrent des taux d’occupation record cet hiver grâce à la venue d’Européens du nord qui, il n’y a pas si longtemps, auraient plutôt passé l’hiver en Turquie, en Égypte, en Tunisie ou au Maroc.