L’illétrisme chez les francophones : un handicap à combattre

En ces temps de rentrée scolaire, il n’y a pas que les plus jeunes qui retournent à l’école. Certains l’avaient quittée depuis bien longtemps, fâchés ou lâchés par l’école, ou n’ont pas eu la chance de fréquenter les bancs scolaires. Maintenant adultes, ils ne savent pas écrire, lire, ou compter. Autant de savoirs que la société considère comme acquis. Mais ces adultes confrontés à l’analphabétisme n’ont pas dit leur dernier mot.

« Se déplacer quelque part que je ne connais pas, ce n’est pas possible pour moi », explique Nadia, que les panneaux laissent de marbre. Elle doit compter sur ses filles pour l’aider au quotidien. Ecrire un sms, lire une notice d’appareil, consulter un plan, ce sont autant d’actions anodines pour un lecteur, qui sont inimaginables pour elle. Licenciée de son travail de serveuse dans un restaurant, Nadia peine à retrouver un emploi. « Quand on dit : “Excusez-moi, je peux lire un peu mais pas beaucoup”, les gens vous raccrochent au nez »,
résume-t-elle. Nadia est analphabète et son cas est loin d’être si exceptionnel.

Un francophone sur deux analphabète

« Au niveau national, on estime à 56 % la part des francophones qui sont en deçà du seuil d’alphabétisme », annonce Yvon Laberge, directeur général du Collège Éducacentre. De quoi donner de l’eau au moulin des cassandres lamentant l’éternelle baisse de niveau en grammaire et en orthographe qui se déchaînent en pamphlets à la moindre suggestion que l’auxiliaire avoir pourrait faire sans la règle de l’accord avec le COD devant le nom ? M. Laberge rassure : « Cela ne veut pas dire que la moitié des francophones ne peuvent pas du tout lire ou écrire, mais plutôt qu’ils ne savent pas lire ou écrire d’une façon adéquate pour fonctionner dans la vie de tous les jours ».

L’alphabétisation, ce n’est pas seulement apprendre à lire, à calculer et à écrire ; c’est aussi exprimer des pensées et des idées, participer à la vie communautaire, apprendre une langue et s’adapter à un monde changeant. On trouve tout un spectre de l’alphabétisation.

Pourtant, c’est une problématique souvent ignorée de l’opinion canadienne à l’ère des médias sociaux, dans le pays qui s’enorgueillit d’abriter la plus grande proportion de diplômés du post-secondaire, soit 56 % des 25–64 ans selon la dernière étude de l’OCDE sur la question en 2018.

Un enjeu d’intégration

« Dans nos sociétés modernes, la capacité à lire, écrire et compter est une condition sine qua non pour accéder à des services et des opportunités », affirme Yvon Laberge.

Le défi de l’apprentissage de l’écriture.

Si l’accent est mis sur lire, écrire et compter, l’informatique est en demande. « Il y a beaucoup de lacunes en littératie numérique. Certains formulaires de demande d’aide sociale sont dorénavant uniquement en accès sur internet. Le formulaire du bien-être social fait une quinzaine de pages ! » regrette M. Laberge. « Les personnes analphabètes sont donc doublement mises en difficulté car non seulement elles ne peuvent pas remplir le formulaire sans aide mais elles n’ont souvent pas non plus d’ordinateur ou ne savent pas s’en servir », conclut-il.

Des apprenants motivés

Le Collège Éducacentre est actif depuis 1976 dans les domaines de l’alphabétisation des adultes, de l’alphabétisation familiale, de la formation de base (tel que le GED, une équivalence du diplôme du secondaire), de la formation continue et de la formation sur mesure ainsi que des services de préparation à l’emploi. Il offre également un programme d’alphabétisation en milieu de travail pour aider les travailleurs à améliorer leurs compétences essentielles.

André, la cinquantaine, mécanicien de véhicules poids lourds demeurant à Langley a bénéficié d’une de ces formations voici quelques années. Après trente années d’expérience dans les mines de l’Abitibi au Nord-Ouest du Québec comme débosseleur et comme mécanicien, il devait se reconvertir professionnellement à cause de douleurs au dos. Pour lui, l’alphabétisation est essentielle à sa réorientation. « Aujourd’hui pour trouver un bon emploi il faut savoir lire, écrire et calculer. » L’informatique est un outil qui a facilité son apprentissage. Je me débrouille un peu avec l’ordinateur »,
mentionne-t-il.

« Certains de nos étudiants sont passés par le programme d’alphabétisation pour ensuite obtenir le diplôme d’études secondaires et même poursuivre jusqu’à l’université », se ravit le directeur du Collège Éducacentre.

Le public de ses formations pour francophones en Colombie-Britannique est restreint mais bien existant. « C’est à peu près moitié moitié entre immigrants et Canadiens de naissance», détaille Yvon Laberge. « On a tendance à dire que les immigrants ont le plus haut niveau d’alphabétisme mais ce n’est pas le cas des francophones en Colombie-Britannique. Ils sont en majorité des immigrants économiques qui ont besoin d’attester de leur niveau de langue pour la résidence permanente. Il y a plus de besoins chez les réfugiés qui ont souvent passé des années hors de leur pays et ont eu une scolarité perturbée. ».

Cause délaissée cherche financement

« Nous sommes limités par le financement. Le ministère de l’Emploi et du Développement Social a un bureau pour l’alphabétisme et les compétences essentielles. Depuis le gouvernement Harper (2006–2015), ils n’ont pas financé de programme en français ». Le Collège Éducacentre a maintenu ses formations en vivant sur ses réserves et en limitant ses moyens mais a actuellement une quinzaine de personnes en liste d’attente pour la formation d’alphabétisation des adultes.

Avec une note d’espoir prudente dans la voix, il ajoute : « Il semblerait qu’il y ait de nouveau une volonté du gouvernement fédéral de remettre des moyens sur la table, mais c’est encore très récent ».