Traducteur, traître : la traduction est-elle issue d’une guerre culturelle ?

Traduire, c’est plus que tout simplement échanger des mots d’une langue à une autre. Il faut y considérer le poids des cultures touchées, les gens qui y participent, les connaissances transmises ainsi que celles implicites.

Une activité aussi ancienne que l’humanité, la traduction est toujours sujet de débat aux centres d’enseignement supérieur du monde. L’université Simon Fraser (SFU) ne reste pas en marge.

La traduction, une compagne historique

Dès le début des civilisations, l’activité de traduire a fait vibrer les fils de l’histoire. Des récits de conquêtes, des échanges culturels, des œuvres littéraires, philosophiques, scientifiques et bien davantage, sont reconnus dans le monde entier grâce à des traducteurs qui, selon leurs lumières, ont su retransmettre ces connaissances dans le respect de l’autre : les auteurs, les lecteurs, la culture d’origine et la culture cible, etc. Bien sûr il y a des cas néfastes ainsi que des cas célèbres et célébrés.

Marina Sonkina, traductrice.

Mais, ce n’est qu’à partir du XXe siècle que la traduction est devenue le sujet d’études et, avec l’évolution de la linguistique comme science, des théories de la traduction se sont développées. Quant à la pratique, les approches vont de la traduction littéraire, la traduction spécialisée (incluant toutes les variétés de genres textuels spécialisés), à la localisation des jeux-vidéos, de sites web. Des approches théoriques, il y en a plein : le fonctionnalisme, qui accorde importance à la fonction du texte traduit ; le structuralisme, qui valorise les structures de la langue et de la syntaxe sur d’autres éléments présents dans l’énonciation ; la théorie du sens ou interprétative, qui priorise l’interprétation, la combinaison de tous les éléments d’énonciation en fonction du sens ; entre autres. Toutes ces théories cherchent à expliquer la traduction selon un point de vue particulier.

La fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle ont vu l’évolution de la technologie au service de la traduction; non seulement des logiciels de traitement des textes, mais aussi des mémoires de traduction, jusqu’à des outils de traduction automatique. Les doutes et les questions restent au cœur des débats académiques, étant donné la prolifération des cours de traductologie dans les universités du monde.

Le débat local sur la traduction

Auteure, journaliste, traductrice, Marina Sonkina est professeure à la faculté des arts libéraux de l’Université Simon Fraser. Mme Sonkina est venue au Canada de l’Union soviétique où elle avait fait des études à l’Université d’État de Moscou en histoire culturelle, philosophie, psychologie, film, théâtre, folklore et arts visuels. Auteure en deux langues, pour elle « tous les aspects de la culture humaine sont étroitement reliés. » Selon Mme Sonkina, « la traduction littéraire est un art complexe » et il est toujours compliqué de définir ce qui est une « bonne » traduction, « quelle est la meilleure stratégie pour traduire. »

Pour Marina Sonkina, le débat sur la traduction tourne autour des problèmes culturels qui gâtent les théories. Sur la base d’une « guerre de cultures », la problématique prend un tour éthique. « Il y a des voix qui disent qu’il est bien de traduire des œuvres du coréen, de l’arabe, du suédois, de l’hébreu, du sanskrit à l’anglais, mais l’anglais est une langue coloniale et impériale, alors la traduction vers l’anglais peut être vue comme un autre moyen d’imposition de l’hégémonie anglophone qui cherche à taire d’autres voix ».

Mme Sonkina a été témoin des avancées en linguistique en l’Union soviétique dans les années 60, ainsi que des technologies qui ont été pionnières dans le traitement de textes par ordinateur telles que le banal correcteur d’orthographe. Elle est en faveur de la traduction assistée par ordinateur. « La traduction automatique est un outil formidable pour la traduction technique, où la plupart des mots techniques ont des significations plus ou moins fixes. Mais là où la traduction automatique échoue, c’est à la traduction littéraire, pire encore pour la poésie. » Cependant, elle croit que tout est perfectible. « Il y a certainement espace pour l’amélioration », mais « je reste sceptique pour la traduction littéraire automatique. »

Sonkina dirigera un débat sur la traductologie, en tant qu’outil pour l’enseignement de littérature comparée et littérature mondiale, intitulé Translation Theory Debate: Another Culture War? (Débat sur la traductologie : Une autre guerre culturelle ?), qui aura lieu samedi 22 juin à 13h 30 au salon 1900 du Centre Harbour de la SFU. Pour en savoir plus, visitez www.sfu.ca/continuing-studies/events/2019/06/translation-theory-debate-another-culture-war.html