C’est qui qu’a gagné ?

Maintenant que les jeux sont faits, en ce lendemain du 21 octobre, que pensez-vous du résultat de l’élection fédérale ? Comment vous sentez-vous ? Êtes-vous comblé(e), surpris(e), désolé(e), abattu(e), décontenancé(e), déprimé(e), découragé(e), ébahi(e), ahuri(e), abasourdi(e), stupéfait(e), sidéré(e) ou simplement complètement indifférent(e) ? Vous sentez-vous heureux ou heureuses comme ces braves dindes qui ont survécu au massacre de l’Action de grâce ou au contraire comme celles qui ont fini farcies ?

De mon côté je vis encore dans l’inquiétude, dans l’incertitude, dans l’appréhension, dans le doute, dans l’illusion, dans le déni, car à l’heure où j’écris ces quelques lignes, je dois vous l’avouer, je ne connais pas encore le résultat du scrutin national (l’heure de tombée du journal devançant par quelques heures la fermeture des urnes). Impossible donc de commenter ces élections. Une pas si mauvaise chose au fond, diront certains de mes détracteurs qui, vivant à la campagne sans tracteur, ont l’habitude de mettre la charrue avant les bœufs. Dès lors, inutile de me lamenter ou de me réjouir. J’évolue dans un état qui va de l’œuf au riz, comme disait Bocuse, au pitoyable. Je ne sais plus, balai en main, sur quel pied danser. Je vis dans la tente, prêtée par mon oncle, en attendant de rentrer à la maison. Autant l’admettre, je suis déboussolé. Ma grande aiguille a perdu le nord. J’ai beau essayer de remettre les pendules à l’heure, rien n’y fait. Ma névrose atteint des sommets névralgiques. Je suis pris entre deux chaises ou si vous préférez entre l’arbre et l’écorce, faute de n’avoir ni marteau ni enclume.

Cela doit vous amuser de me voir dans tous mes états, vous qui avez le résultat des élections en main. Soyez gentils. Ne gâchez pas mon plaisir. Ne me dites pas quel parti a remporté cette élection. J’aime les surprises. Je ne veux pas savoir si Trudeau, à qui peut-être il manque un siège pour obtenir la majorité, va exercer son charme auprès de Jody Wilson-Raybould afin que celle-ci revienne dans le giron libéral. On ne sait jamais, en politique il faut s’attendre à tout sauf, il est vrai, à une alliance Trudeau-Scheer.

Non, ne me dites rien. Je préfère attendre pour obtenir la réponse aux milliers de questions que je me pose face à la possibilité d’un gouvernement minoritaire. Je ne tiens pas à savoir d’avance si Jagmeet Singh ou Élizabeth May se lèchent déjà les babines à l’idée de devenir les faiseurs de roi. Le jour de gloire pour au moins l’un d’entre eux est peut-être arrivé.

Par contre j’aimerais que vous soyez indulgents et compatissants à mon égard car je vis encore des moments très angoissants en attendant le fin mot d’une campagne électorale qui manquait, j’ose le dire, de reluisant. Nous avons vécu une campagne terne, sans véritable débat, au relent mesquin, chiche et minable (rien de comparable toutefois aux normes établies par la politique américaine). La barre n’était pas haute et les deux principaux protagonistes, au grand regret de nombreux électeurs, n’ont même pas réussi à la franchir. Nous avons été les témoins pendant plus de cinq semaines d’un spectacle désolant, d’un niveau peu élevé. Un exercice puéril à vous donner l’envie de ne pas vous rendre au bureau de vote pour y déposer votre bulletin. Ce que je n’ai pas fait, mon devoir de citoyen ayant prévalu lors du vote par anticipation. J’ai ainsi apposé la croix et non la bannière à l’intérieur d’un cercle parfaitement rond tout en ayant conscience qu’au fond je tournais en rond. J’ai fini par faire une croix sur cette élection qui fut à mes yeux un véritable calvaire, mon Golgotha.

Il a fallu que je fasse appel à toutes mes ressources pour ne pas mourir d’ennui durant la dernière semaine de la campagne électorale. Les événements politiques chez nos voisins du sud sont venus à ma rescousse. Ils m’ont poussé à sortir de ma lassitude. La possibilité de destitution du président américain ainsi que la décision de ce dernier d’abandonner les Kurdes à leur propre sort ont précipité le peu d’intérêt que j’ai alors éprouvé envers nos préoccupations électorales canadiennes. Je n’en ai pas cru mes yeux ni mes oreilles. Comment est-ce possible d’en arriver là si bas en toute impunité ? La prochaine élection présidentielle américaine sera à coup sûr plus animée, sans doute pour de mauvaises raisons, que celle par laquelle nous venons de passer. Tant qu’à faire, à bien y penser, je préfère la médiocrité à l’ignominie affichée par la politique américaine.

Allez-y maintenant. Je n’ai plus envie d’être surpris. Vous pouvez me le dire : c’est qui qu’a gagné ?