Dans les hutongs, le temps s’arrête

Loin du brouhaha des klaxons et des vendeurs ambulants du vieux Pékin, au détour d’une rue étroite au sol poussiéreux, bordée de murs gris à l’ombre desquels de vieux Pékinois s’éventent par un soleil de midi, se cachent les dernières maisons traditionnelles chinoises. Dans son exposition Hutong House, du 6 au 30 mai 2021 à la Surrey Art Gallery, l’artiste torontois Yam Lau, originaire de Hong Kong, fait découvrir aux visiteurs une de ces rares maisons traditionnelles pékinoises et toutes les activités et la vie qu’elle renferme, comme on inviterait un voyageur de passage dans sa demeure.

Les hutongs, ces ruelles tortueuses qui veinaient autrefois la majeure partie de la capitale, comme un labyrinthe de pierres protégeant la cité interdite, sont le seul moyen d’accéder aux calmes résidences à pagodes disposées autour d’une cour carrée centrale, les SiHeYuan, telle que celle présentée par Yam Lau dans cette exposition conçue comme « un passage évanescent de l’espace, du temps et de l’image associée à l’architecture et à la forme de vie qu’elle supporte ».

Photo de Surrey Art Gallery

Car dans la cour carrée protégée de la frénésie et du bruit de la ville par les bâtiments de ces maisons traditionnelles, le temps s’arrête. Les habitants y mangent avec leur famille, boivent du thé avec des amis, rêvassent sur un banc à l’ombre des plants de bambous… Un certain sentiment de communauté et de sérénité se crée dans ces maisons traditionnelles.

« C’est parce que la cour est fermée. Par exemple, lorsque vous regardez la lune depuis la cour, vous avez l’impression que c’est votre lune privée ! », explique Mr. Lau, témoignant d’un « sentiment d’intimité enrichi par un profond sentiment de famille et de communauté. La conscience de l’espace et du temps devient très
richement nuancée ».

Famille multigénérationnelle

Et l’architecture même de ces SiHeYuan vient renforcer les liens et les valeurs de la famille traditionnelle chinoise : ces résidences sont au départ conçues pour abriter plusieurs générations sous un même toit, s’organisant selon la hiérarchie familiale de l’idéal confucéen.

« La résidence sur cour présentée dans mon travail est rare. Elle est bien conservée et modernisée [canalisations, accès à l’électricité, etc. (N.D.L.R.)]. La disposition spatiale (quatre maisons avec une cour commune) permet d’accueillir différentes « unités » au sein d’une famille multigénérationnelle. Les parents vivent dans une maison, les enfants dans une autre, et les grands-parents dans la leur », précise l’artiste. Il se crée alors un sentiment de village à l’intérieur de la ville, d’une petite communauté protégée à l’intérieur d’une communauté plus large comme dans un jeu de poupées russes.

« Une fois à l’intérieur, vous vous sentirez très éloigné du monde extérieur. Cette disposition spatiale unique crée son propre monde et sa propre unité. Mais la cour crée un extérieur dans l’intérieur. Dans la cour, les résidents peuvent profiter du changement de jour et des saisons, comme si ces expériences leur appartenaient exclusivement », ajoute Mr. Lau.

Le temps qui s’y écoule lentement devient précieux, chaque moment partagé dans ces espaces cachés, souvent aménagés pour ressembler à des jardins intérieurs, est suspendu dans le temps et renforce les liens tissés entre les habitants et invités qui y passent.

Modernisation

Mais tout comme le dédale de ruelles qui faisait battre le cœur de Pékin, ces maisons ont souvent été modifiées voire rasées entièrement pour faire place à la modernisation de la Chine. C’est pour cette raison qu’il est extrêmement difficile de trouver une résidence traditionnelle bien préservée comme celle visitable dans Hutong House.

« La plupart d’entre elles ont été compromises pendant l’ère Mao. Le gouvernement a déplacé un grand nombre de personnes dans ces maisons à cour, ce qui a entraîné un surpeuplement et une mauvaise hygiène. La disposition et la structure originales de ces maisons ont également été atteintes et modifiées pour accueillir l’afflux de population. La zone couverte par les hutongs s’est progressivement détériorée pour devenir un bidonville », exprime Mr. Lau.

Ironie du sort, plus les maisons se délabrent et la qualité de vie s’y détériore, plus il y a de raisons à les démolir pour les remplacer par de grandes avenues bordées de gratte-ciel.

Mais ce n’est pas seulement la maison qui est détruite, c’est aussi son environnement, le caractère et la texture des rues étroites et des allées, le contraste entre le calme de la cour intérieure et le désordre des ruelles.

« Cette dynamique complémentaire constitue le tissu de la vie urbaine à Pékin et dans d’autres régions de la Chine. Cette sorte d’unité spontanée et d’ordre entre la communauté et la famille est un lointain souvenir », conclut Mr. Lau.

Vous pouvez découvrir cette maison traditionnelle chinoise gratuitement dans l’exposition Hutong House de la Surrey Art Gallery, du 6 au 30 mai. Les visiteurs sont priés de réserver un horaire de visite par téléphone ou par courriel. Pour obtenir plus d’informations, consulter : www.surrey.ca/arts-culture/surrey-art-gallery/exhibitions/yam-lau-hutong-house