Considérons les Canadiens qui vivent à l’étranger comme un atout et non comme un handicap.

Plus de 2,8 millions de Canadiens vivent à l’extérieur du Canada, mais nous avons tendance à en faire abstraction à moins qu’ils ne soient célèbres. Pire encore, nous dénigrons les immigrants du Canada qui retournent dans leur pays d’origine pour des raisons professionnelles ou personnelles.

Une recherche avant-gardiste (en anglais seulement) intitulée Canadians Abroad menée il y a plus de dix ans par la Fondation Asie Pacifique du Canada révélé que les Canadiens à l’étranger ne devraient pas être considérés comme un passif éventuel dans notre bilan national, mais plutôt comme un atout qui peut représenter un avantage pour le Canada.

Il y a deux raisons qui expliquent l’intérêt croissant que suscitent les Canadiens à l’étranger.

Premièrement, le nombre de Canadiens qui occupent des postes de premier plan dans le monde suscite un certain intérêt. Il s’agit notamment de Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre; de Lindsay Miller, du Dubai Design District; de Stephen Toope, vice‑chancelier de l’Université de Cambridge; de Gregory Abel, à Berkshire Hathaway; et de Lisa Bate, à B+H Architects.

Deuxièmement, le Parlement a adopté en 2018 un projet de loi donnant à tous les Canadiens à l’étranger le droit de vote – un droit que la Cour suprême a confirmé en 2019. Ce projet de loi a révoqué une politique antérieure qui limitait le droit de vote aux Canadiens ayant séjourné à l’étranger pendant moins de cinq ans, même si cette politique n’avait été appliquée que de manière approximative jusqu’à ce que l’ancien gouvernement conservateur en fasse une politique ferme. La loi de 2018 a eu une incidence sur le nombre de personnes qui ont voté à l’élection fédérale de 2019, puisque 34 144 Canadiens vivant à l’étranger ont voté, alors que le registre international compte environ 55 000 électeurs. À titre de comparaison, en 2015, 11 000 électeurs à l’étranger parmi les 16 000 inscrits avaient exercé leur droit de vote.

Malgré cela, il existe depuis longtemps, parmi les Canadiens résidents, une antipathie envers les Canadiens qui vivent à l’étranger. Elle est plus profonde dans le cas des immigrants canadiens qui, après avoir atterri dans le pays, choisissent de retourner dans leur pays natal ou dans un autre pays pour poursuivre leurs intérêts personnels ou professionnels. Nous l’avons vu lors de l’évacuation des Canadiens du Liban pendant le conflit de 2006, alors que l’on s’indignait de ce que l’on appelait les « citoyens de convenance ». Nous l’avons également vu au cours des années 2000 dans les discussions sur les centaines de milliers d’immigrants de Hong Kong, qui sont retournés vivre et travailler sur le territoire après être devenus Canadiens.

Il existe des questions légitimes concernant les exigences de résidence et les obligations fiscales des migrants de retour. Toutefois, le ton général des discussions sur les politiques concernant les expatriés canadiens (en particulier ceux qui se trouvent en dehors des États-Unis et de l’Europe occidentale) laisse entendre que ce groupe de citoyens est un handicap pour le Canada et que les politiques devraient minimiser ce handicap.

C’est la perception que les Canadiens ont d’eux-mêmes par rapport au reste du monde qui est à l’origine de l’antipathie envers les Canadiens à l’étranger. Beaucoup d’entre nous ont le sentiment d’avoir gagné à la loterie en naissant dans ce pays ou en étant sélectionnés comme immigrant au Canada : pourquoi quelqu’un renoncerait-il volontairement à un tel prix en partant à l’étranger? Notre culture nationale est fondée sur l’idée bien ancrée selon laquelle le Canada est un pays d’immigrants, mais nous faisons preuve d’esprit de clocher quand nous n’arrivons pas à reconnaître les avantages d’être aussi un pays d’émigrants. Nous avons tendance à considérer l’immigration comme un aller simple dont le Canada est la dernière étape.

Il y a là un paradoxe : de nombreux immigrants ont du mal à trouver un emploi correspondant à leurs compétences et à leur expérience. Faut-il s’étonner que des immigrants issus d’économies dynamiques ne trouvant pas de travail convenable au Canada choisissent de partir à la recherche d’occasions professionnelles? S’ils le font, ne ferions-nous pas mieux de les accueillir comme faisant partie d’un atout global pour le pays, plutôt que de les considérer comme des détenteurs de « passeports de convenance »?

En réalité, l’attachement au Canada doit fonctionner dans les deux sens. Si le Canada ne s’efforce pas de garder le lien avec les citoyens établis à l’étranger, il ne fera que créer un bassin de citoyens à l’étranger qui refusent de conserver le lien envers le Canada.

Je plaide depuis longtemps pour la création d’une organisation au sein du gouvernement fédéral qui se consacrerait au renforcement de cet attachement et qui aurait le pouvoir de coordonner les questions connexes entre les différents ministères, comme la collecte de données, les qualifications de résidence, la fiscalité, la sécurité sociale et la double citoyenneté. À l’échelle provinciale, d’autres questions se posent, notamment en ce qui concerne l’assurance-maladie, l’impôt foncier et le logement. Changer notre mentalité à l’égard des Canadiens à l’étranger prendra du temps, et il faut d’abord adopter une politique publique réfléchie.

Nous sommes fiers d’être un pays d’immigrants et nous devrions être tout aussi fiers des Canadiens qui s’aventurent à l’étranger. Ils sont des citoyens qui représentant la province du Canada à l’échelle mondiale.

Le sénateur Yuen Pau Woo représente la Colombie‑Britannique au Sénat.

Une version semblable du présent article a été publiée dans l’édition du 26 mai 2021 d’Options Politiques (en anglais seulement).