Le lundi bleu : entre mythe et réalité

Cette année le lundi bleu – considéré comme le jour le plus déprimant de l’année – tombera le 17 janvier. Défini à l’aide d’une formule pseudo-scientifique, ce jour particulier est sujet à controverse. Serge Lacroix, psychologue et professeur associé à l’UBC, met en lumière le concept qui, malgré son artificialité, détient une certaine part de vérité.

Le troisième lundi du mois de janvier serait le jour le plus déprimant de l’année, à en croire les dires de Cliff Arnold à l’origine du concept du lundi bleu (Blue Monday en anglais). En 2005, ce psychologue du Royaume-Uni aurait découvert une formule permettant de trouver le jour le plus déprimant de l’année. Son équation comprenait des facteurs comme la fin des vacances, les factures « salées » de l’après Fêtes, la météo grisaille, l’arrêt des bonnes résolutions et le début de semaine.

Le troisième lundi de janvier serait-il vraiment le jour le plus triste de l’année ? Pour y répondre, La Source est allée interroger Serge Lacroix, psychologue et professeur associé à l’Université de Colombie-Britannique (UBC), ainsi que plusieurs Vancouvérois, interrogés au hasard.

Sujet à controverse

Pour le psychologue, le manque de scientificité est tout d’abord problématique. « Le lundi bleu n’est pas quelque chose qui a été démontré cliniquement », souligne-t-il. Selon lui, le concept serait également critiquable de par sa généralisation abusive : tout le monde, ou presque, vivrait un épisode dépressif à ce jour précis de l’année. La plupart des Vancouvérois interrogés ne rapportent d’ailleurs aucune expérience particulière à cette date.

Comme témoigne Vania J. Calderón Bonilla, sur Facebook, la perception d’un jour ou d’une période comme déprimante est subjective et dépend de chacun. Certains, par exemple, voient cette journée d’un bon œil car c’est le jour de leur anniversaire. Pour d’autres comme Jeff, un chef cuisinier français, il ne fait pas sens que ce jour tombe un lundi. « On n’a pas ce lundi de retour au travail car notre restaurant est fermé jusqu’à mardi », explique-t-il.

Selon Serge Lacroix, la période « bleue » serait plutôt fin décembre, lorsque les jours sont les plus courts de l’année. Il fait remarquer que pour certains, la période des Fêtes peut aussi être synonyme de tristesse. « Ce n’est pas tout le monde qui peut fêter en famille, partager l’opulence et consommer [plus qu’à son habitude] », rappelle-t-il avant d’ajouter : « C’est une période où l’on s’attend à ce que ce soit festif et le fait que ce ne le soit pas est encore plus déprimant ».

Tout semble montrer que le lundi bleu est bel et bien une invention de Cliff Arnold. Certains avancent même que le concept fut créé dans le cadre d’une stratégie publicitaire pour Sky Travel. Kristina Lee, une autre Vancouvéroise, affirme ainsi que « le lundi bleu a été inventé […] afin de vendre plus de billets d’avion » vers les destinations soleil.

Part de vérité

Selon Serge Lacroix, ce qu’il faut surtout retenir c’est l’impact de la météo sur l’humeur. « À mesure que les jours rétrécissent, davantage de personnes sont déprimées ou d’humeur morose. Vers le printemps, quand les journées s’allongent, le moral revient », résume le psychologue. Il explique que la dépression saisonnière est un phénomène qui a été longuement étudié et scientifiquement prouvé.

Une étude publiée en 2016 par l’Université de Calgary démontre que la proportion de répondants souffrant d’un trouble dépressif majeur en janvier est de 70 pour cent supérieure à celle d’août. Selon la Société canadienne de psychologie, 15 pour cent des Canadiens souffriraient d’une dépression saisonnière au moins une fois dans leur vie. Malgré le manque de données locales, il est possible d’imaginer que les cas de dépression saisonnière sont particulièrement élevés à « RainCouver ». Une résidente déclare d’ailleurs : « À Vancouver le lundi bleu c’est tout l’hiver ».

Mais l’impact de la météo sur l’humeur se fait à des degrés différents. Le professeur note ainsi qu’il ne faut pas confondre déprime et dépression, une distinction inexistante en anglais. « La déprime, c’est plus léger. On a les bleus, le moral est plus bas. Si on parle de dépression, là vraiment tout notre quotidien est affecté », explique-t-il avant de lister les principaux syndromes d’une dépression: trouble du sommeil (insomnie ou hypersomnie), baisse du plaisir et changement de poids important (augmentation ou réduction).

Année particulière

Selon Serge Lacroix, l’anxiété du début de la pandémie s’est transformée pour beaucoup en déprime voire en dépression. « Avec ces deux dernières années pandémiques et particulièrement avec l’arrivée du nouveau variant, le lundi bleu, s’il y a, sera de couleur bleu foncé ! Les gens sont usés, ils sont à bout », déclare-t-il.

Le psychologue témoigne d’ailleurs d’une augmentation considérable des demandes de suivi thérapeutique au cours des mois de novembre et de décembre 2021. Une récente étude de l’Agence de santé publique du Canada démontre que le taux de troubles dépressifs majeurs (TDM) chez la population britanno-colombienne a presque triplé entre la période pré-pandémique et l’automne 2020 – passant de 6 à 17,2 pour cent.

L’étude estime que les TDM sont fortement corrélés à un sentiment de manque de contrôle sur sa vie. La perte d’un emploi, les difficultés financières causées par la pandémie, ou encore le décès d’un proche suite à la COVID-19 seraient à l’origine de ces dépressions. Selon Serge Lacroix, c’est aussi le manque de socialisation – un élément essentiel contre la déprime – qui peut expliquer les TDM.

Le professeur souligne également que les événements météorologiques extrêmes survenus cette année dans la province peuvent avoir un impact sur le moral. « Les personnes déjà sensibles sont encore plus vulnérabilisées et affectées par ces événements-là. Quand elles voient un village entier qui est évacué, cela fait écho à leur fragilité. Elles se demandent si elles ne seront pas les prochaines », illustre-t-il.

Afin d’atténuer ces émotions négatives, le psychologue préconise une activité physique régulière, génératrice d’endorphines. Il conseille notamment la marche, facilement accessible. En ce qui concerne la dépression saisonnière, la luminothérapie est une option. Selon l’Association canadienne pour la santé mentale, pour 60 à 80 pour cent des personnes souffrant de dépression saisonnière, la luminothérapie a un impact positif.

Enfin, le professeur estime qu’il est important de cultiver les interactions sociales bien qu’en petit groupe, pandémie oblige. « Ce n’est pas un grand évènement qu’il faut aller rechercher mais plutôt des petits moments du quotidien, qui sont sous notre contrôle, qui sont disponibles », conclut-il.

Ressources :
www.troubleshumeur.ca
www.cmha.ca
www.monrelief.ca