Souveraineté de la terre et du corps

La galerie vancouvéroise SUM présente l’exposition photographique Sovereignty (Souveraineté) de l’artiste non binaire Duane Isaac de la Première Nation Mi’kmaq. Initialement commissionnée pour un éditorial dans le magazine culturel de référence Canadian Art Magazine, Sovereignty explore la relation symplectique des personnes autochtones à leur terre et à leur corps. Portrait de l’artiste contemporain.ne empreint de raison d’être traditionnelle.

La création d’un masque, étape par étape. | Photo de Duane Isaac

Au premier regard, les photographies de Duane Isaac pourraient passer pour du David LaChapelle. Une vision pop-culture crue, très réaliste, et aux couleurs presque exagérées. Une manière subversive de dénoncer le réel ou le décalé, le différent. C’est également l’esprit artistique du/de la jeune Mi’kmaq. Mais l’artiste a, quant à iel, une composante bien reconnaissable en ses masques : tantôt baroques, tantôt organiques, tantôt fantastiques, toujours fulgurants.

Une identité multinuclée

Bien visible dans son œuvre, Duane Isaac est ouvert.e sur son orientation sexuelle. Mais cela n’a pas toujours été le cas. « J’avais pour habitude de ne penser qu’à ma sexualité et de me demander si les gens pourraient me voir pour qui je suis. J’avais du mal avec mon identité aussi. Ce à quoi s’ajoutait une distance avec ma culture parce que je ne m’y sentais pas bienvenu », explique-t-iel. « En grandissant, on entendait les hommes parler des personnes gaies de façon très désobligeante. Je ne me sentais pas accepté par eux, et je pense que c’est toujours le cas aujourd’hui, mais j’ai appris à aller au-delà de ces doutes, parce que je ne veux plus continuer à faire des compromis en ce qui concerne mon identité ». Un sujet dont il était particulièrement difficile de parler dans les communautés autochtones à son époque. A ceux et celles qui sont dans le même cas, iel conseille alors « d’être soi-même, de se défaire de ses contraintes internes, de laisser son travail montrer qui l’on est ».

Dissimuler le visible pour mieux le révéler

Duane Isaac indique d’abord que sa « vision artistique vient du goût dans son enfance pour les films d’horreur et un amour profond pour la beauté ». Son identité artistique a ainsi été façonnée par ce parcours identitaire personnel et ses inclinaisons culturelles : « J’ai souvent été obnubilé.e par les cadres dorés et les angelots ». Des éléments qui se retrouvent en accord parfait dans ses œuvres.

Si le regard est souvent décrit comme le reflet de l’âme, le recours à un masque qui l’occulte peut paraître contradictoire pour quelqu’un qui s’assume. Or c’est bien cet objet qu’iel a choisi comme signe distinctif et comme vecteur de son message : « J’ai toujours adoré l’idée de se camoufler et de jouer à faire semblant. Le recours au masque permet de faire ressortir des aspects intérieurs de la personnalité ainsi qu’un sens de liberté et d’anonymat. J’aime obscurcir le visage, forcer le spectateur à établir un contact avec d’autres aspects de mon imagerie et de mes sujets ». Et l’artiste ne ménage pas le spectateur dans sa mise en relation avec son art : ses masques sont de vrais chefs-d’œuvre composés de différents matériaux difficiles à travailler dont certains ont pris deux semaines entières de réalisation. « Certains nécessitent pause et réflexion. D’autres peuvent être réalisés en moins de 24 heures », dit-iel. Les détails sont minutieux et chacun attrape l’œil, invitant le spectateur dans un monde à part, comme plongé dans l’un des meilleurs films fantastiques de Guillermo del Toro Gómez ou d’une pièce haute-couture du feu designer Alexander McQueen. Et ce malgré les corps torses nus des éphèbes de modèles.

L’artiste Duane Isaac. | Photo de Duane Isaac

« Bien que les photos soient intimes, on ne sait pas vraiment qui est derrière le masque ». C’est là son tour de force : faire passer tous ses messages en une relative subtilité mais somme toute envoûtante.

Une prégnance autochtone malgré tout

Bien que son art soit loin de celui autochtone auquel d’aucun est plus habitué, tels les arts du tissage et des perles ou des sculptures et représentations des symboles identitaires culturels, le message de Duane Isaac reste en partie imprégné du cri autochtone. « Sovereignty fait référence à l’autonomie, au contrôle de sa destinée, et son auto-détermination.

En tant que gardiens de la Terre, (N.D.L.R : terres autochtones non-cédées), les peuples autochtones ont longtemps contribué à la conservation et au bon entretien de nos ressources. Nous sommes en symbiose avec la Terre et sommes profondément en lien », resitue-t-iel. La série de portraits contient donc tous les thèmes récurrents de son identité créative : le savoir autochtone, l’angoisse environnementale, une perspective pessimiste du passé tout autant que du futur, le tout avec une approche résolument queer. C’est pourquoi iel souhaite que les spectateurs de cette exposition n’aiment pas seulement ce qu’ils auront vu, ce qui est présenté, mais espère aussi qu’ils repartiront avec un regard différent sur « les évènements actuels auxquels les peuples autochtones font face et leurs relations avec le Canada. Les peuples autochtones sont constamment attaqués sur leurs propres terres par une myriade d’agressions, qu’elles soient environnementales ou constitutionnelles ». Et qu’ils fassent sienne cette question : « Sommes-nous témoins d’une immolation ou d’un nouveau chapitre ? ».

Sovereignty, à découvrir à la galerie SUM de Vancouver jusqu’au 14 mai www.sumgallery.ca