Verbaliser

Les Ukrainiens n’ont pas que des armes lourdes, même s’ils en ont peu comparé aux Russes. Ils ont aussi une arme de poids : l’humour. L’esprit en temps de guerre n’est pas mort. Les Ukrainiens ont ainsi créé un néologisme sous la forme du verbe péjoratif macroner, afin de dénoncer l’attitude délétère à leurs yeux de la politique française, exemplifiée par Emmanuel Macron, face à l’invasion russe. Pour les Ukrainiens, macroner signifie se montrer très inquiet d’une situation, mais ne rien faire.

Cette idée de créer des verbes à partir de nom de leaders, un de mes passe-temps favoris, m’a incité à me mettre à l’ouvrage sans plus tarder. D’autres néologismes verbaux ou verbeux, me suis-je dit, pourraient eux aussi voir le jour. Je vous en propose quelques-uns qui, c’est fort possible, trouveront leur niche au sein du vocabulaire français.

« Le bidenage c’est bien, mais il a ses limites ». | Photo de NATO

Poutiner : empoisonner l’existence d’autrui avec une série de menaces et de chantages combinés à des méthodes d’intimidation peu recommandables, tel l’anéantissement pur et simple de villes et de villages, ayant pour objectif de forcer tout adversaire à une soumission totale. Ainsi il est possible de dire « Si tu ne me rends pas mes billes, je vais te poutiner ».

Xijipingzer : action d’un chantage diplomatique d’origine chinoise qui dépasse les limites permises où il est déclaré sans ambages : œil pour yeux, dent pour dentier ou, encore, la vengeance est un plat qui se mange froid au chaud d’un cachot.

Trudeauminer : Dérivé de la trudeaumanie de la fin des années 60, ce verbe, de nos jours, signifie friser le ridicule en jouant des rôles qui ne sont pas faits pour vous. Ainsi, en essayant de devenir l’entraîneur des Canucks de Vancouver, je ne fais rien d’autre que de Trudeauminer.

Poilievrer : éroder l’élan démocratique en favorisant un discours populiste. Par exemple : en soutenant l’action des camionneurs du convoi de la liberté, ce candidat conservateur ne fait que poilievrer la situation.

Charester : mettre la charrette avant les bœufs sans se préoccuper des conséquences d’un tel geste. C’est aussi croire en ses chances face à un adversaire qui n’hésite pas à marcher sur vos plates-bandes. « Arrête de charester si tu veux conserver la moindre chance d’être couronné », pourrait-on dire.

Trumpiter (nouvelle définition) : Utiliser l’arme de la délation auprès des masses dont le quotient intellectuel serait déficitaire. Trumpiter : une tendance à éviter. On dira par exemple « Sur la chaîne Fox News, cet oiseau de malheur trumpite sans cesse ».

O’Tooler : capituler après avoir atteint le niveau d’incompétence selon le principe de Peter. En somme, il s’agit de rendre son tablier et de baisser les bras après avoir tenté en vain de faire appel à la raison.

Singhuler (ou jameeter) : Lancer une invitation à faire bon ménage avec un courtisan tout en imposant ses conditions. Exemple : « Voulez-vous singhuler avec moi ? Je suis prêt à danser avec vous pendant les trois prochaines années à condition que vous ne me marchiez pas sur les pieds ».

Françoiser : Oser confronter l’ordre établi d’une institution ultra-conservatrice tout en donnant l’impression de ne pas entrouvrir la porte au diable. Le françoisement exige du courage, du doigté et surtout de la patience, des denrées rares, si les objectifs fixés veulent être atteints. Françoiser, un nouveau mot qui mérite, de toute évidence, notre bénédiction.

Bidener (à ne pas confondre avec bidonner) : Vieillir avec dignité en ne ménageant pas ses mots, quitte à dire des bêtises.

Par exemple, je me permets d’affirmer : « À longueur de journée je bidène tout en sachant très bien que les individus avec qui j’ai affaire n’apprécient pas nécessairement mon comportement sénile et mes paroles à l’emporte-pièce ». Le bidenage c’est bien, mais il a ses limites.

Inspiré par Volodymyr Zelensky, président actuel de l’Ukraine et ancienne vedette d’un feuilleton télévisé, apparaît le verbe zelenskyer dont la définition se lit ainsi : Crier à l’aide sur tous les toits espérant que personne ne fera la sourde-oreille. La réalité s’avère cruelle : Le monde, c’est triste à observer, ne fait et ne peut, c’est le cas de le dire, que macroner. La pitié, les Ukrainiens en savent quelque chose, n’est pas un renfort adéquat pour sauver des vies.

Zelenskyer veut aussi dire ne jamais baisser les bras et s’avouer vaincu. À mon humble avis ce néologisme aurait pu être remplacé par un autre : Mandelasser, en souvenir de Nelson Mandela, qui avait déjà exemplifié le courage et la détermination avec une touche de sérénité peu commune. Avec regret je ne crains pas d’avancer que, sous peu, car on se fatigue de tout, le peuple ukrainien risque de zelenskyier en pente douce vers la quasi indifférence générale.

Voilà, j’ai fini de castoriser.