Le personnel de première ligne racisé et féminin a besoin d’une meilleure législation, pas de platitudes

Depuis le printemps 2020, la COVID-19 perturbe l’ordre social et économique du pays. L’une des conséquences des changements historiques découlant de cette situation, c’est la proportion démesurée de femmes et de personnes racisées parmi les travailleurs qui assument le fardeau de la pandémie. Dans l’ensemble des secteurs de la main-d’œuvre et des domaines professionnels, le personnel de première ligne et les prestataires de services essentiels sont devenus des bêtes de somme sacrifiées sur l’autel de notre survie collective. On compte parmi ceux-ci les employés des commerces de détail, les serveuses et serveurs, les employés des services de transport, les travailleuses et travailleurs agricoles, les ouvrières et ouvriers d’abattoirs, les livreuses et livreurs ainsi que l’ensemble des prestataires de services qui se trouvent au bas et au milieu de la pyramide hiérarchique des soins de santé, c’est-à-dire les infirmières autorisées (IA), les infirmières auxiliaires, les préposés aux bénéficiaires (PAB), les aides familiaux résidants et le personnel d’entretien.

Dans cette multitude de catégories d’emplois, on constate une prédominance de personnes noires et d’autres groupes racisés, principalement des nouveaux arrivants. De plus, dans le secteur de la santé, les femmes représentent la majorité du personnel qualifié « de première ligne ».

Ces travailleurs, qui se sont avérés essentiels à notre survie durant la pandémie, sont souvent qualifiés de « héros » ou d’« anges gardiens » par les politiciens et divers décideurs. Les platitudes énoncées à leur sujet n’ont pas manqué. Les citoyens expriment aussi leur reconnaissance par des banalités, quoique certains cherchent plutôt à évacuer leur frustration sur le dos des travailleurs racisés.

On a entendu de nombreuses histoires touchantes de citoyens pétris de gratitude qui frappaient sur des casseroles (au début de la pandémie) ou posaient d’autres gestes de solidarité festive à l’endroit de « nos » résilients travailleurs de première ligne. Bien évidemment, toutes ces manifestations de reconnaissance sont justifiées. Notre société doit beaucoup à ceux et celles qui mettent leur sécurité en jeu quotidiennement au travail pendant que la majorité d’entre nous doit travailler à domicile.

Toutefois, après deux ans de pandémie et de vagues récurrentes, ces compliments se sont transformés en refrains politiques vides et éphémères. Si la nature essentielle du travail de première ligne n’est pas contestée, l’identité racisée et de genre des personnes qui le font semble autoriser le gouvernement et la société à ne pas leur accorder le traitement équitable qu’elles méritent.

« …il n’y a pas d’accalmie ou de changement de situation en vue pour les personnes racisées et les femmes en première ligne. » | Photo de QUOI Media

Divers programmes de primes COVID destinés au personnel de première ligne ont pris fin rapidement depuis l’été 2020, malgré le fait que les conditions de travail demeurent difficiles et souvent dangereuses en raison de l’émergence des variants du SRAS-CoV-2.

Dans le cas des PAB en établissements de soins de longue durée, les conditions de travail ont continué de se détériorer, y compris durant la présente vague causée par Omicron. La pénurie de personnel n’est toujours pas réglée et le climat de travail devient de plus en plus toxique. Selon les sondages, le niveau de motivation du personnel est plus bas que jamais. On impose aux PAB et autres prestataires de soins semblables de prendre des décisions insoutenables, qui compromettent la qualité des soins donnés à la clientèle et exposent les soignants et leurs familles à des risques sanitaires.

Les congés de maladie payés demeurent un mirage pour plusieurs. Comme les absences pour cause de maladie entraînent une perte de salaire, les personnes qui vivent d’un chèque de paie à l’autre peuvent soit se retrouver dans une situation financière précaire, soit dissimuler leur état et mettre en danger les autres. Cela ne constitue pas un « véritable choix ».

Après deux ans de pandémie et de vaines félicitations, il n’y a pas d’accalmie ou de changement de situation en vue pour les personnes racisées et les femmes en première ligne. Dans leur milieu de travail, elles doivent toujours composer quotidiennement avec de la discrimination et de multiples formes d’intimidation et de coercition.

Bien après cette deuxième année de pandémie et bien après aussi la célébration habituelle en février du Mois de l’histoire des Noirs, les gouvernements et la population du Canada doivent renoncer à inonder les travailleurs de première ligne de compliments opportunistes et plutôt faire en sorte que des changements fondamentaux et permanents soient instaurés pour les protéger. Pour reconnaître véritablement leur héroïsme, il faut notamment adopter une législation qui leur accordera des congés de maladie payés, des primes de pandémie, des conditions de travail sécuritaire et une rémunération à la hauteur de la difficulté et de la nécessité de leur travail.

CHIDI OGUAMANAM est professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et membre du Centre de droit, politique et éthique de la santé.

Source : QUOI MEDIA GROUP