Très à l’écoute des océans, deux chercheurs de la C.-B. partagent leurs messages et leur passion

Photo de Isabelle Côté

Soixante-dix pour cent. Telle est la surface de la Terre couverte par les océans. Le 8 juin prochain marque la Journée mondiale des océans proclamée en 2008 par les Nations Unies pour mettre en avant auprès du grand public les enjeux majeurs liés aux sciences océanographiques. Et rappeler si besoin est : tous les organismes sur terre dépendent des océans. Entretien avec deux océanographes de Vancouver pour se saisir de clefs d’action en matière de protection des océans alors que la houle du dérèglement océanique est toujours plus visible.

Isabelle Côté est professeure d’écologie marine à l’Université Simon Fraser (SFU) et concentre ses recherches sur les espèces marines envahissantes. Gabriel Reygondeau est chercheur à l’unité Changement climatique au département Océans et Pêche de l’Université de Colombie-Britannique (UBC). Son travail porte sur les effets des activités humaines (pollution, changement climatique et pêche) sur les écosystèmes de différents endroits du globe.

Une journée calme ou agitée ?

Les journées mondiales ont souvent été critiquées comme pure rhétorique. Qu’en pensent les deux scientifiques ? Pour la chercheuse-plongeuse aux parents gaspéso-bretons, cette date est une occasion d’afficher le fait que les océans ont besoin de « plus d’attention et d’égards » et, pour celui ayant grandi autour du monde et souvent proche de la mer, il s’agit de se dire que le temps (où ne pas protéger les océans était une option) est révolu et que nous sommes maintenant dans une course contre la montre. L’ espèce humaine survivra toujours, mais quel niveau critique sommes-nous prêts à accepter ? » invite-t-il à se demander.

Ce dernier parle aussi d’une occasion renforcée de partager sa passion mais surtout sa connaissance des risques liés à la dégradation des océans et de répéter le caractère d’ « urgence du besoin de (sa) protection ». Il étoffe en avertissant que « nous considérons cette immensité bleue comme acquise, en la surexploitant quasiment sur toutes nos côtes et en ne la protégeant quasiment pas en comparaison aux écosystèmes terrestres ». Il regrette à ce sujet la position internationale de longue date de considérer « les ressources marines (comme) infinies ». Pour lui, cette journée représente l’occasion de mettre toujours plus en avant l’absence « d’accord mondial (de protection des) eaux internationales où se trouvent la plupart des espèces migratrices vulnérables au changement climatique et à la pêche. » Cette question a un écho particulier au Canada doté de frontières avec trois océans différents et de la côte marine la plus longue au monde. La Journée mondiale des océans fut d’ailleurs initialement conçue par le Centre international d’exploitation des océans du Canada d’Halifax, en 1991. Fin 2021, le gouvernement du Canada s’est en outre engagé à conserver 25 pour cent des océans du pays et 25 pour cent de son territoire terrestre et d’eau douce d’ici 2025, visant à atteindre 30 pour cent d’ici 2030. « Nous ne pouvons installer de réserves marines que dans les eaux nationales. Celles-ci ne représentent qu’ environ moins de 20 pour cent du globe. Et nous n’avons actuellement que 9 à 10 pour cent des eaux côtières qui sont protégées. » précise également le chercheur de UBC.

Un poisson-lune, animal qui a fait rêvé Isabelle Côté. | Photo de Isabelle Côté

Gouvernance mondiale : enfin l’auloffée

Gabriel Reygondeau se dit heureux du changement de cap positif et nécessaire pour avancer des gouvernances mondiales sur la question des océans, lui dont les travaux sont utilisés par les Nations Unies et des ONGs, avec notamment une contribution aux rapports du GIEC. « Oui ils écoutent de plus en plus, rien que les discussions pour des super réserves marines ou la protection de la haute mer sont de grandes avancées (et) qu’enfin la cause écologique devienne une priorité pour les décideurs. » Il pose cependant la question de savoir s’il est trop tard ou de ce qui peut encore être sauvé. Ce à quoi il répond sans ambages : « Cela dépend de vous, de moi, des gens !! La prise de conscience a été très tardive et nous ressentons déjà les effets [N.D.L.R. : de l’anthropocène sur les océans]. Nous en sommes au point maintenant où nous avons trois ans pour décider du climat des générations futures, (selon le) dernier rapport du GIEC. » somme-t-il d’entendre.

Sur des exemples de collaboration tripartite entre le fédéral, le provincial et les communautés autochtones, Isabelle Côté fait connaître son projet tout juste entamé « avec la Première Nation Kitasoo/Xai’xais qui vise la gestion durable des pêcheries de concombres de mer dans leur territoire. Ce genre de programme d’appui financier [N.D.L.R. : du fédéral] pour des projets qui sont soit menés ou co-créés par les peuples autochtones est essentiel, à (son) avis, pour promouvoir la conservation des océans au Canada. »

« Revitalisation : Action collective pour l’océan »

Tel est le thème choisi pour cette édition 2022. Tous deux proposent des actions similaires à entrevoir le jour J, tel que d’acheter des poissons ou des fruits de mer pêchés de façon durable, ou de participer à un nettoyage de plages. Sur le premier point, Gabriel Reygondeau précise que cela permet d’empêcher la pêche d’espèces en voie de disparition en vérifiant la traçabilité de ces produits grâce aux écolabels « comme Ocean Wise, ou Pêche durable comme en France ». Sur le second point, il clarifie l’utilité de cette action par le fait que « la majeure partie de la biodiversité connue s’y trouve ; les plages et les côtes sont les écosystèmes marins les plus divers mondialement mais aussi les plus fragiles. Nettoyer les plages c’est réduire l’impact direct de l’homme sur ces écosystèmes et donc un effet direct sur la biodiversité et la productivité de ceux-ci », ajoute-t-il.

Dans le cadre de ses recherches sur les espèces marines envahissantes, Isabelle Côté évoque le fait que c’est « un problème qui s’aggrave d’année en année avec l’accroissement des transports internationaux », précisant que couplé au changement climatique ayant une incidence sur l’introduction d’espèces non-indigènes, les espèces indigènes sont alors supplantées. Un point qui en revient à celui soulevé par Gabriel Reygondeau au sujet de la régulation des aires marines, dont fait partie le transport maritime.

Outre la journée du 8 juin, ces actions de réfléchir à l’impact de nos gestes de tous les jours se doivent d’être quotidiennes, selon Gabriel Reygondeau, comme tout ce qui a un impact sur le changement climatique au sens large. « Notre consommation d’essence, de plastique ou d’éléments chimiques » par exemple puisque ceux-ci se déversent irrémédiablement dans les océans. Ce constat marque là une double peine dans la lutte contre le dérèglement climatique, sachant que « l’océan joue un rôle de protecteur, bouclier climatique, (en) absorbant 80–90% de la chaleur produite par le changement climatique », spécifie-t-il. Et dans le contexte actuel de risques sévères de pénurie alimentaire, il est bon de rappeler que l’océan est source de nourriture, source « de ressources cruciales pour nourrir une grande partie des pays subtropicaux », indique-t-il aussi.

Agir pour la protection et la revitalisation de l’océan est donc bel et bien une action collective à tous les niveaux.

Un exemple de l’utilisation des travaux du chercheur de UBC pour optimiser la protection des réserves marines est consultable sur le site: https://globalfishingwatch.org/marine-manager-portal/. Des points saillants du travail d’Isabelle Côté ainsi que des photos de l’objet de ses recherches et de sa passion sont accessibles sur son compte Twitter https://twitter.com/redlipblenny