Il est temps d’arrêter de financer et d’exporter la destruction climatique

Les changements climatiques constituent une urgence mondiale sans précédent, aux conséquences désastreuses en matière de droits de la personne. La moitié de la population de la planète souffre déjà de graves pénuries d’eau et les maladies liées aux changements climatiques sont à la hausse. Nous devons changer de cap pour protéger les vies et les droits.

« Le Canada est le plus grand fournisseur de fonds publics pour les combustibles fossiles du G20. » | Photo de Quoi Media

Le rôle des combustibles fossiles dans cette situation d’urgence est incontestable et suscite des avertissements sévères de la part de spécialistes comme ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). À moins de réduire considérablement et immédiatement l’utilisation de combustibles fossiles, affirme le GIEC, l’accélération de la crise climatique exposera des millions, voire des milliards de personnes de plus à des pénuries d’eau et de nourriture, ainsi qu’à des stress thermiques mortels, aggravant les sécheresses et d’autres catastrophes potentiellement mortelles.

Nous devons prendre acte de la contribution du Canada à cette crise et cesser immédiatement de financer les combustibles fossiles.

Le Canada est le troisième exportateur de pétrole au monde. Selon les plus récentes données publiées par Environnement Canada, nos exportations de pétrole et de gaz ont généré la quantité incroyable de 954 mégatonnes d’équivalent CO2 en 2019 seulement, soit plus que les émissions totales au pays la même année. Le Canada a peut-être stabilisé ses émissions au pays, mais celles qui sont générées par ses exportations de combustibles fossiles ont augmenté de plus de 46 pour cent entre 2012 et 2019.

De nombreux Canadiens ne savent probablement pas que notre statut de puissance fossile mondiale dépend de milliards de dollars de fonds publics versés chaque années par Exportation et développement Canada (EDC), la banque d’exportation du Canada. Le soutien assuré par EDC au secteur s’est établi en moyenne à 13,6 milliards par année entre 2018 et 2020, ce qui fait du Canada le plus grand fournisseur de fonds publics pour les combustibles fossiles du G20. EDC dépense 22 fois plus dans ce secteur que dans celui des énergies renouvelables.

Le gouvernement fédéral s’est engagé en décembre dernier à « élaborer un plan » pour éliminer progressivement le financement public au secteur des combustibles fossiles, y compris par les sociétés d’État fédérales comme EDC, mais il y a lieu de craindre que le plan puisse comporter d’importantes échappatoires.

En effet, le Plan de réduction des émissions pour 2030 publié par Ottawa en mars demande à l’industrie des combustibles fossiles de réduire les émissions – de 31 pour cent par rapport aux niveaux de 2005 d’ici 2030 – tout en permettant une augmentation de la production de pétrole et de gaz.

Une telle incohérence repose sur le calcul voulant qu’au moins 80 pour cent des émissions de pétrole et de gaz proviennent de leur combustion. Par conséquent, le Canada peut augmenter sa production aux fins d’exportation – et la soutenir à l’aide d’énormes sommes de fonds publics, comme pour l’augmentation de capacité de l’oléoduc Trans Mountain – tout en ayant l’air de respecter ses obligations climatiques, car il ne comptera pas les émissions générées dans les pays où sont brûlés les combustibles fossiles canadiens.

Ajoutons à cela le nouveau crédit d’impôt pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone (CUSC), une initiative controversée dénoncée par des centaines de scientifiques et universitaires spécialistes du climat comme une subvention massive au pétrole et au gaz. Ottawa affirme que les projets de CUSC sont exemptés d’un engagement international signé aux Nations Unies en novembre dernier pour mettre fin à une petite partie de son financement des combustibles fossiles d’ici la fin de cette année. Entre-temps, EDC a annoncé la création de soi-disant « obligations de transition » qui appuieront les sociétés pétrolières et gazières souhaitant investir dans la technologie de CUSC.

Ottawa défend son financement des projets de CUSC par l’opportunité de positionner le Canada comme le « producteur de pétrole et de gaz le plus propre » au monde. Il est pourtant peu opportun d’être un producteur « propre » de produits dont les effets, comme Amnistie internationale en fait rapport dans Nos droits brûlent !, mettent en péril le droit à l’eau, à la nourriture, à la santé, au logement, au travail et à la vie de centaines de millions de personnes.

Même si les sociétés pétrolières et gazières canadiennes captaient la totalité de leurs émissions – et les projets de CUSC n’ont pas encore atteint leurs objectifs jusqu’à maintenant – la consommation des combustibles produits continuerait d’exacerber les changements climatiques, de faire des ravages parmi les populations vulnérables, de creuser les inégalités et de déclencher des effets graves et irréversibles.

Les alarmes sonnent et elles sont assourdissantes. Le monde a un urgent besoin d’une transition juste vers des solutions climatiques durables qui protègent les droits de la personne et nous ménagent un avenir vivable. Il faut pour cela que le Canada cesse immédiatement de financer les combustibles fossiles et que la production diminue rapidement, avec ou sans captage de carbone.

Comme l’a déclaré carrément António Guterres, le secrétaire général des Nations Unies : « Les radicaux vraiment dangereux sont les pays qui augmentent la production de combustibles fossiles. Investir dans de nouvelles infrastructures de combustibles fossiles est une folie morale et économique ».

La folie des combustibles fossiles du Canada doit prendre fin.

Karen Hamilton est directrice d’Above Ground, un projet pour les droits de la personne et la reddition de comptes.

France-Isabelle Langlois est directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone.

Source: QUOI MEDIA GROUP