L’alphabétisation en Colombie-Britannique : défis et chantiers

Plus de la moitié des francophones au Canada seraient analphabètes en 2015 selon l’OCDE. Si le chiffre donne le vertige à l’aube de la Journée internationale de l’alphabétisation, le 8 septembre prochain, les plans d’action à venir redonnent de l’espoir pour ces populations très vulnérables.

Historiquement, le Collège Éducacentre s’inscrit comme la pierre angulaire de l’alphabétisation en Colombie-Britannique depuis 1992. « À l’époque, le collège offrait des cours d’alphabétisation dans le Downtown Eastside notamment. Cela a mené au développement de La Boussole, qui est devenu un organisme indépendant par la suite », explique le président du Collège Éducacentre, Yvon Laberge.

La Boussole, organisme venant en aide aux francophones en situation de précarité en Colombie-Britannique, offre aujourd’hui différents services, allant du suivi psychologique à la banque alimentaire en passant par une friperie solidaire. Mais l’organisme va bientôt étendre à nouveau son champ d’action à l’alphabétisation, en conjonction avec le Collège Éducacentre.

Plusieurs origines de l’analphabétisme

Yvon Laberge, président du Collège Éducacentre, a fait des recherches dans le domaine. Pour lui, plusieurs facteurs sont à l’origine des chiffres élevés de l’analphabétisme au Canada. « La population francophone canadienne française était surtout rurale, moins bien scolarisée et marginalisée dans une société anglophone. L’Eglise catholique voulait garder autant que possible les gens en milieu rural pour ne pas qu’ils perdent la foi. Si on met tout ça ensemble, c’est mon avis et certains pourraient le discuter mais je pense qu’il y a quelque chose là : l’Eglise catholique, la ruralité et l’accès aux écoles francophones. »

Yvon Laberge ajoute aussi que la laïcisation du système scolaire et sa décentralisation ont amélioré la situation au Québec.

Le président du Collège Éducacentre se souvient des stratégies qu’il a vues chez lui, dans un milieu rural de l’Alberta. « Beaucoup étaient analphabètes. Je l’ai découvert quand j’ai fait de l’alphabétisation. Ma voisine me disait : “J’envoie mon vieux au magasin. Je lui dis ce que je veux et il oublie jamais rien.” Ils ont signé des papiers avec des avocats et ils ne savaient pas trop ce qu’ils signaient », confie Yvon Laberge, soulignant la vulnérabilité de ce public.

Identifier les publics en détresse

Khadim Gueye, responsable de l’Engagement communautaire à La Boussole, accueille et assiste beaucoup de personnes perdues face à des formulaires assez basiques.

« La dernière fois, j’ai aidé une personne qui venait d’être recrutée. C’était juste pour remplir des formulaires, fournir un relevé bancaire, donner le numéro de sécurité sociale, des choses de ce genre. Il était incapable de le faire. Ça m’a pris une vingtaine de minutes. Il avait beaucoup de papiers et ça lui avait fait un peu peur », explique-t-il. Ce frein dans les démarches du quotidien est illustré par Yvon Laberge lorsqu’il évoque des personnes ayant recours à des services d’aide dans une bibliothèque près de la frontière pour remplir les formulaires d’Arrivée CAN pour se rendre aux États-Unis.

L’analphabétisme, parfois confondu avec un problème de langue, est hélas identifiable selon Khadim Gueye : « Le formulaire était en anglais mais la personne était incapable de le remplir en français. Dans d’autres cas, une personne voulait changer de statut pour trouver du travail. Elle devait passer un test de français. Elle peut parler français mais au niveau de l’équipe, on sentait que cette personne aurait des difficultés pour répondre à des questions pour la lecture. »

Une honte, teintée d’autres préjugés, peut être un frein pour certains : « C’est au cas par cas. Certaines personnes n’en ont rien à faire. Mais parfois, on le sent. Parfois, quand une personne arrive ici et qu’elle voit que je suis noir, elle peut se sentir inférieure. Je sens que certaines personnes ne sont pas à l’aise par rapport au fait que je leur procure cette aide », explique Khadim Gueye.

Difficile d’identifier les potentiels bénéficiaires de ces programmes pour Yvon Laberge : « Ce n’est pas comme si on offrait un cours et les gens se garrochent pour venir s’inscrire. Avec l’alphabétisation et le développement des compétences, il faut presque le construire et aller chercher les gens pour qu’ils participent. Il y a une stigmatisation du fait que tu ne saches pas lire ou écrire. »

Les actions en vigueur en Colombie-Britannique

Après huit ans de hiatus en Colombie-Britannique dûs à un manque de financements, le Collège Éducacentre reprend les chantiers d’alphabétisation. En septembre, l’organisme lance deux projets de 18 mois, dont l’un avec La Boussole.

« Le concept qu’on prévoit de développer, c’est une démarche et une formation. Une démarche pour essayer d’identifier les besoins des personnes qui sont en situation de précarité et de développer une démarche qui leur permettrait d’identifier ce qu’ils veulent vraiment faire à partir de leurs compétences fortes. On ne peut pas utiliser une approche basée sur les déficiences. Ensuite, ce qu’on fait, c’est qu’on voudrait qu’ils développent, avec de l’appui, un genre de plan de formation. On offrirait de la formation avec La Boussole comme partenaire, on travaillerait avec leurs bénéficiaires », explique Yvon Laberge.

Le Collège Éducacentre s’allie également à Pluri-elles au Manitoba. Cette association dont la vocation est de travailler avec les femmes vivant la précarité, a récemment élargi son mandat à n’importe quelle personne dans le besoin. « On va travailler avec des communautés francophones, notamment Métis, au Manitoba pour essayer de piloter les mêmes outils là-bas. La dernière étape, c’est qu’avec les outils et le processus qu’on développe, on offrirait de la formation à des intervenants qui viennent de différentes provinces et territoires au Canada. »

Ces projets ont une envergure géographique mais également sociale avec l’alphabétisation familiale. « Pour ce projet, on veut développer les compétences pour réussir chez les jeunes et chez les adultes (parents, grand-parents ou autre proche qui pourraient les appuyer) mais d’une perspective de participation citoyenne. On veut développer les outils et les processus que les jeunes pourraient utiliser pour identifier un besoin de changement social dans leur communauté et ensuite, de les poser en actions par rapport à ce besoin. De cette façon-là, on aura une plus grande participation sociale des deux parties », explique Yvon Laberge, qui souhaite également mener ce projet au niveau fédéral.

« La nouvelle vague qui arrive concerne des personnes issues de l’immigration. Les dernières études montraient que les plus concernées étaient les femmes migrantes. Certains ont besoin de lecture et d’écriture mais en général, c’est tout ce qui est digital », explique Yvon Laberge.

La littératie numérique, parente contemporaine de l’alphabétisation, demeure le prochain autre grand défi à aborder, dans un monde où l’existence virtuelle prend le pas sur la réalité.

Pour plus d’information visitez :
Educacentre : www.educacentre.com
La Boussole : www.lbv.ca