La francophonie sous le signe du double : Vancouver Writers Fest 2022

Après deux ans de hiatus pandémique, le Vancouver Writers Fest revient à une édition quasiment normale avec de nombreux évènements en personne. Le point de mire sur deux écrivaines francophones bilingues, Stéfanie Clermont et Violaine Huisman.

Les écrivaines seront à nouveau à l’honneur pour cette édition 2022 du Vancouver Writers Fest. Toutes deux évoluent dans des univers bilingues. Pour Stéfanie Clermont, deux langues cohabitent dans une seule et même culture.

L’autrice du roman Le jeu de la musique, récompensé par le prestigieux prix Ringuet de l’Académie des Arts et des Lettres du Québec, a pris les chemins de l’écriture et de l’école buissonnière très tôt : « J’ai suivi une programmation artistique avec des cours de théâtre et de création littéraire à l’école secondaire. Après ça, j’ai suivi un parcours atypique où je ne suis pas du tout partie à l’université. Je suis partie voyager. J’ai vécu toutes sortes d’expériences avec plein de petits boulots. Je pense que je me suis nourrie autant des rencontres que j’ai faites que des moments difficiles pour toujours continuer d’enrichir mon écriture », explique Stéfanie Clermont, qui a sillonné l’Amérique du Nord, rencontrant le père de son enfant à Vancouver.

Photos par Justine Latour LaQuartanier (gauche) et Beowulf Sheehan (droit)

Un bilinguisme naturel

Originaire de la région d’Ottawa, Stéfanie Clermont a toujours baigné dans le bilinguisme, et vivre dans un environnement anglophone ne serait pas si difficile selon l’autrice : « J’ai grandi dans une petite communauté franco-ontarienne donc le français, c’est ma langue mais par la force des choses, j’ai aussi beaucoup vécu en anglais. C’est comme si l’adaptation vers la culture anglophone, ce n’est pas quelque chose qui me demande un gros effort au niveau culturel. »

En revanche, elle avoue que l’accès à des ressources culturelles en langue française pourrait lui manquer. Elle évoque aussi plus de difficultés dans d’autres contextes culturels, comme en France par exemple : « Même si on parlait la même langue, il y avait vraiment une différence culturelle. Je me sentais plus ailleurs », explique-t-elle.

L’idée de venir s’établir à Vancouver a déjà germé dans l’esprit de la Franco-ontarienne, ravie de découvrir des écoles francophones dans la province. Elle aime la dynamique de la Colombie-Britannique. « Quand j’étais dans la région de Pemberton, il y a plein de « Québécois voyageurs » qui « échouaient » en Colombie-Britannique. C’est comme en Californie : ce sont des gens qui sont là intentionnellement. Il y a eu une rupture un moment dans leur vie et c’est un choix, que ce soient des francophones ou des gens d’un peu partout. Ça apporte une belle énergie à la région », avoue-t-elle.

La prochaine étape pour Stéfanie Clermont, c’est l’écriture d’un second roman. « L’expérience d’écrire un deuxième livre est très différente de celle d’écrire un premier. J’ai eu la chance de laisser mon premier livre se développer sur plusieurs années et puis là, c’est comme si je recommençais à partir du début », explique l’écrivaine. En revanche, pas question de se laisser happer par le stress pour la jeune maman : « J’ai aussi mon enfant et il se passe beaucoup de choses en même temps. L’écriture, c’est une vocation mais en même temps, je veux avoir une belle relation avec l’écriture et ne pas me mettre trop de pression. »

Habitant à présent Montréal, Stéfanie Clermont évoquera son rapport à cette ville le 20 octobre à 20 h lors de l’évènement In the Heart of Montreal : Fiction from La Belle Province, aux côtés des auteurs Dimitri Nasrallah et Heather O’Neill.

Violaine Huisman, une Parisienne aux États-Unis

D’abord entrée dans le monde de l’édition avec la traduction d’Un crime parfait de David Grann en 2009, Violaine Huisman reçoit le prix Françoise Sagan et le prix Marie Claire du roman féminin 2018 pour son premier roman, Fugitive parce que reine, ode à une mère imparfaite.

Elle grandit à Paris, dans des beaux quartiers, avec une mère issue du prolétariat devenue une grande bourgeoise par son mariage avec son père. « L’écart social de mes parents était perpétuellement palpable dans cette capitale profondément ancrée dans son histoire, où sa classe ou son statut vous rattrape à chaque coin de rue. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu partir très tôt », explique l’écrivaine partie s’installer à New-York à 19 ans.

Violaine Huisman a deux filles dans la Grosse Pomme et est en charge des évènements littéraires de la Brooklyn Academy of Music, le plus ancien théâtre des États-Unis. Cependant, son statut demeure toujours celui d’une étrangère : « Je ne me suis aperçue de mon statut d’immigrant que le jour où mes filles me l’ont fait remarquer : maman pour elles n’était pas d’ici; elle parlait avec un accent, cette trace de l’exil », explique-t-elle.

Pour sa première participation au Vancouver Writers Fest, Violaine Huisman sera présente le 20 octobre pour Fiction from Reality, aux côtés des écrivains Gabriel Krauze et Douglas Stuart, au Waterfront Theatre. L’autrice explique que l’écriture n’est pas cathartique à son sens : « Bien au contraire ! J’ai souvent l’impression qu’en écrivant, je convoque mes démons. Néanmoins, il y a un sentiment d’affranchissement à transformer des événements du passé, ou de ma mémoire du passé, en fiction. »

Pour son prochain projet, elle se penche à nouveau sur le monde de l’intime. Rose désert évoquait un réflexion sur l’emprise et la perte, aborde les tabous liés à l’éveil de l’amour et à la sexualité en 2019. Aujourd’hui, elle se consacre à un nouveau roman sur son père et son grand-père : « Parmi d’autres exploits, mon grand-père a fondé le festival de Cannes en tant que ministre de la culture pendant l’entre-deux-guerres. Mon père était enfant pendant la Seconde Guerre mondiale et, après avoir grandi dans le faste, l’opulence, lui et les siens ont tout perdu, y compris leur citoyenneté en tant que juifs, et ont frôlé de peu la déportation. C’est un projet auquel j’œuvre depuis longtemps. C’est difficile, compliqué et douloureux. Mon père est décédé l’année dernière. »

La 35e édition du festival littéraire aura lieu du 17 au 23 octobre. Le public aura accès à 80 événements, dont des discussions sur l’état du journalisme moderne, la perte des droits reproductifs des femmes ou encore une conversation sur l’essor des contes indigènes dans le monde.

Pour plus d’informations : www.writersfest.bc.ca