Le testament

Sachant qu’en affaires il n’est jamais trop tôt pour ne rien faire, un pauvre chroniqueur, loin de sentir sa mort prochaine, décida à brûle-pourpoint, sans prévenir ses enfants, de remplir un nouveau testament qu’il déposa non loin dans un coin. L’ayant enfin repéré, puis récupéré, je me fais un plaisir, puisque tel est mon désir, de vous dévoiler, sans plus de retenue, l’ensemble de son contenu.

À tout seigneur tout honneur : au journal La Source, source de mes élucubrations semi-mensuelles, je laisse mes pages blanches, mes jeux de mots tarabiscotés, mes fautes de frappe, mon esprit mal tourné, mes plaisanteries douteuses, mes allusions de mauvais goût, mes illusions perdues, mes réflexions à l’emporte-pièce, mon ironie bon marché, mon cynisme alambiqué ainsi que mon manque de promptitude et de savoir-vivre ou écrire.

« … je laisse mes pages blanches, mes jeux de mots tarabiscotés, mes fautes de frappe… »

À la correctrice du journal, à qui je profite de l’occasion qui m’est donnée pour lui rendre hommage et la remercier de la patience dont elle fait preuve en révisant mes textes avec une justesse et une précision incomparables, je laisse mes fautes d’orthographe et de grammaire ainsi que mes tournures de phrase maladroites et mes prépositions toutes gauches. Elle pourra s’en servir un jour à titre de démonstration d’exemples à ne pas suivre.

Au nouveau chef d’un grand restaurant de Vancouver récemment primé par le guide Michelin, je tiens à rendre mon tablier et lui remettre mon ensemble de pneus tout-terrain, en lui souhaitant, puisqu’il l’a amplement mérité, de passer une bonne nuit à la belle étoile. Cerise sur le gâteau : la récompense qui vient de lui être décernée devrait lui permettre d’ajouter un peu de beurre dans ses épinards. Qu’il s’abstienne toutefois de mettre de l’eau dans son vin. S’il n’y parvient pas, qu’il sache que, tout compte fait, ce n’est pas la fin des haricots.

Au nouveau maire de Vancouver, du parti ABC, je remets le reste des lettres de l’alphabet, XYZ compris, s’il s’engage à baisser, comme le nom de son parti l’indique, les taxes municipales. À défaut de le faire il devrait envisager de quitter ses fonctions AVQP (aussi vite que possible). Par contre, C.Q.F.D. , un maire hors pair ne peut se taire et rester sans rien faire.

À Pierre Poilievre, chef de l’opposition à la Chambre des communes, majeur (il a obtenu son permis de mauvaise conduite) et vacciné (malgré lui), je donne la permission de faire marche arrière si son véhicule, pris au milieu du convoi contre la liberté de vivre en toute tranquillité d’esprit, le lui permet.

Au premier ministre du Canada je remets ma trousse de maquillage et mes costumes de l’Halloween en espérant que, contrairement à son habitude, il en fera bon usage. À ce généreux don, vient s’ajouter la partition de mon dernier opéra-comique intitulé : Ah! Si papa savait ça.

À mon médecin de famille je laisse, pour qu’il en prenne soin, tous mes petits soucis de santé. Par ailleurs, afin de le remercier de toute l’attention qu’il porte à ma tension, je l’invite de bon cœur, sans qu’il y ait urgence, à ausculter de près les bruits, répandus par les mauvaises langues, qui courent à mon sujet.

À l’honorable Chrystia Freeland, après avoir appris que notre ministre des finances doit se serrer la ceinture et, pour ce faire, a choisi de se désabonner de la chaîne en streaming Disney +, je me sens obligé de lui céder mes bretelles, qu’elle peut se les péter à volonté quand bon lui semblera. De la voir se sacrifier à ce point me rend dingo. Je ne sais pas ce que Mickey en pense.

À Poutine, prenant en considération les déboires par lesquels il passe, je me vois dans l’obligation de lui céder mon régime de retraite inspiré de celui de la Bérézina. Histoire de pousser à l’extrême l’absurdité de ma générosité je vais même un peu plus loin en laissant à cet ancien du KGB, un cagibi en Sibérie hérité d’un aïeul menchevik.

Aux militants écologistes qui s’en prennent aux toiles de maîtres dans les musées, je lègue toute ma collection de boîtes de conserve de tomate et ma réserve de sirop d’érable. Ainsi munis, je leur suggère de se rendre dans les locaux de la Maison-Blanche à Washington et d’asperger le portrait de Donald Trump accroché à un des murs de ce haut lieu d’une démocratie en péril. Cela vaudrait mieux que de s’en prendre aux célèbres artistes peintres, amis de la nature qui, face aux changements climatiques, n’y sont absolument pour rien.

Finalement, aux footballeurs canadiens qui participent à la Coupe du monde au Qatar, je donne sans rechigner, mon jeu de jambes, mes dribles, ma vélocité, mon passe-partout, ma contre-attaque, mon auto-défense, ma vie sans but et surtout ma volonté de bien faire.