Plus de 500 jours sans éducation

Le 2 février dernier a marqué la date symbolique des 500 jours depuis que les Afghanes sont privées d’éducation.

Depuis la prise de pouvoir des talibans en août 2021, seuls les garçons ont pu retourner à l’école. Pour les filles, il fallait attendre. Les talibans avaient justifié cette attente par des motifs sécuritaires. Ce n’est que plusieurs mois plus tard qu’un porte-parole du ministre de l’Éducation a annoncé que les étudiantes en secondaire pourraient enfin retourner à l’école, le 23 mars 2022 ; soit après huit mois d’interruption.

Retour sur cette journée printanière, dont Larmina (prénom d’emprunt), 16 ans, se souvient très bien. Il faisait beau à Kaboul. Et ça tombait bien puisqu’elle s’est réveillée enthousiaste avec le lever du soleil. À vrai dire, elle a à peine dormi. Elle se prépare à cette grande journée tant attendue: elle allait enfin retourner à l’école.

Mais cette jubilation a été cruellement abrégée lors de son arrivée à son lycée, Sardar Mohammad Dawood, au centre-ville de la capitale. À peine entrée en classe, on lui annonce de rentrer chez elle. Oui, c’est bien de l’incrédulité qui jaillit dans l’atmosphère. « C’était un moment dévastateur, c’était comme s’il n’y avait plus d’oxygène dans l’air », se souvient-elle comme si c’était hier.

Photo de Larmina

Ce même sentiment d’asphyxie a été évoqué par une autre lycéenne : « J’ai senti que tout d’un coup, on était comme des poissons sortis de l’eau, plus capables de respirer », raconte Zuha (prénom d’emprunt), 17 ans, dans un anglais impeccable. Elle qui adore la lecture et la littérature. « On est en train de devenir invisible dans ce pays, aujourd’hui on n’est rien dans ce pays », poursuit cette jeune femme avec un mélange de douleur et de colère dans sa voix.

Une volte-face et de nouveaux prétextes

La veille au soir, un revirement était provenu de Kandahar, la capitale de facto des talibans. La rentrée scolaire des filles, prévue le lendemain matin, est suspendue « jusqu’à nouvel ordre ». Explication donnée : Il faut attendre qu’une décision sur l’uniforme des filles soit prise, conformément « à la sharia et aux traditions afghanes ».

« Bien sûr que c’est un prétexte », rétorque Heather Barr, directrice adjointe de Human Rights Watch pour les droits des femmes, interviewée par téléphone.

Larmina et Zuha pensent aussi que ce n’est qu’une excuse. « Notre uniforme est très islamique et on le porte depuis toujours : une tunique ample et noire avec une écharpe de couleur blanche. Je ne comprends pas ce qu’ils veulent de nous exactement », s’exclame Zuha.

« Un apartheid de genre »

Heather Barr explique que la situation actuelle en Afghanistan est « la crise des droits des femmes la plus grave dans le monde aujourd’hui, et la pire depuis la prise de pouvoir des talibans en 1996 ». Selon Shaharzad Akbar, féministe afghane en exil et ancienne présidente de la Commission afghane indépendante des droits de l’Homme (AIHRC), ce qui se déroule dans son pays s’apparente à un « apartheid de genre ».

« [Les Afghanes] sont persécutées à cause de leur genre chaque jour. Il s’agit d’une discrimination systématique. Une discrimination tellement accablante, tellement injuste et tellement cruelle que si cela arrivait à une autre catégorie aussi large de personnes, certainement le monde aurait réagi autrement. Certainement. Enfin, c’est incroyable. Les femmes dans mon pays sont punies pour être femmes au quotidien, constate madame Akbar avant d’ajouter, et quelle est la réponse ? »

Une réponse internationale « terrible»

Suite à cette annonce des talibans, il y a environ 500 jours, de nombreux pays occidentaux avaient exprimé (souvent sur Twitter) leur indignation. Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a décrit la décision comme « profondément décevante et dommageable pour l’Afghanistan ». Mélanie Joly, ministre des affaires étrangères, avait aussitôt condamné « l’acte de discrimination de la part des talibans » en rappelant que « l’accès à l’éducation est un droit humain auquel chaque femme et chaque fille a droit ».

En Afghanistan, la rentrée scolaire des filles est suspendue « jusqu’à nouvel ordre ». | Photo de Larmina

« Je pense que la réponse de la communauté internationale à la situation actuelle a été terrible », estime Heather Barr. Elle explique que cette inertie de la communauté internationale reviendrait au fait que les États-Unis ont joué, pendant très longtemps, le rôle dominant dans la prise de décisions concernant l’Afghanistan, et que suite au retrait américain, les pays alliés seraient dans un attentisme passif. « Il faut mettre de la pression sur les talibans, et actuellement on ne voit rien qui ressemble à une quelconque stratégie ou coordination au sein de la communauté internationale ».

Selon Mme Barr, le Canada, l’Allemagne, la France et la Suède font partie des pays qui ont aujourd’hui une responsabilité éthique et morale de première ligne face aux violations des droits des femmes en Afghanistan. « Ces quatre pays ont envoyé des troupes en Afghanistan, ils font partie des pays à avoir été très impliqués pendant la guerre, mais surtout, ce sont des pays qui prétendent avoir une politique étrangère féministe », rappelle-t-elle.

« Si une politique étrangère féministe ne signifie pas prendre la défense des femmes afghanes aujourd’hui, quel est le sens même d’une politique étrangère féministe ? », questionne Mme Barr.

Dialogue et diplomatie

Alors que l’attention du monde entier est tournée vers la guerre en Ukraine, les Afghanes sont en train de vivre certains de leurs jours les plus sombres. D’après Crisis Group, Human Rights Watch, mais aussi selon beaucoup de personnes de la diaspora afghane, un dialogue avec les talibans est une étape cruciale et urgente.

Shaharzad Akbar précise que « quand on demande à la communauté internationale de s’engager avec les talibans, il s’agit de restaurer la lumière dans la vie de millions d’Afghanes. Cette partie du monde ne doit pas tomber subitement dans le noir, et nous ne pouvons pas détourner le regard de ce qui se passe là-bas ».

« Oui, ça peut être horrible de dialoguer avec eux, mais c’est ça la diplomatie », conclut Heather Barr.