Accès au logement, à l’emploi ou encore estime de soi diminuée, les défis pour les femmes noires en Colombie-Britannique sont nombreux. Annette Henry et Julie (nom d’emprunt) nous parlent de leurs expériences.
Annette Henry est professeure au département de Langues et Littérature, Éducation et Études raciales et de genre à l’Université de Colombie-Britannique (UBC). Pour l’universitaire, le manque de données sur les difficultés auxquelles font face les femmes noires est criant. « Dans mes recherches, les femmes noires parlent beaucoup de racisme. J’ai relu des entretiens que j’ai menés avec des Noires et elles parlaient des évènements classiques : dire que l’appartement est déjà loué lors d’une recherche de logement. C’est assimilé dans la société », estime-t-elle.
Pour la professeure, les femmes noires peuvent cumuler les freins. « Dans le monde du travail, on parle du fardeau de la diversité d’après Jerlando Jackson (Université du Michigan) et très souvent, ça tombe sur les femmes noires. On parle aussi du plafond de verre. Je le vois dans mon expérience », explique Annette Henry.
Une vision biaisée
L’image des communautés noires, et notamment africaines, est ternie par les médias, notamment occidentaux selon Julie : « Quand les gens entendent parler des pays africains, c’est en général une image négative. On entend toujours parler de la pauvreté, de la famine, de la crise économique. On montre toujours une population en demande d’aide. Il y a un dicton qui dit : « On ne montre pas son village de la main gauche ». On ne montrera jamais Downtown Eastside lorsqu’on parle de Vancouver à l’étranger. Chaque pays a ses bons et ses mauvais côtés », déclare-t-elle en souhaitant une plus grande promotion des actions positives en Afrique.
Julie, qui a sillonné le pays en passant d’un petit village du Québec puis Montréal, Toronto et Ottawa avant d’arriver en Colombie-Britannique, avoue s’être questionnée maintes fois sur les résultats, les défis et les chances si elle avait été blanche. « Par exemple, quand j’étais au Québec, on m’a demandé si je connaissais une artiste américaine très connue. Comme je venais de l’Afrique, on se disait que je n’avais pas accès à Internet ou à la télé, comme si je sortais d’une forêt en pleine brousse. On m’a aussi demandé si je vivais avec des lions et dans une case. Je me demandais si c’était une blague ou si cette personne était sérieuse. Le problème, c’est que le visage de la personne indiquait qu’elle était vraiment sérieuse », confie-t-elle.
Des canons de beauté rigides
« En Colombie-Britannique, c’est toujours surprenant d’entendre qu’il est difficile de trouver des produits de beauté pour les femmes noires et de la nourriture africaine alors que Vancouver est une ville très cosmopolite », s’étonne Annette Henry.
Pour Julie, il est important de parler des cheveux crépus. Si la tendance s’assouplit face au modèle traditionnel, il y a encore du chemin à faire selon la jeune femme. « Auparavant, la beauté montrée dans les médias, c’était les cheveux lisses et longs. Quand il y avait des cheveux crépus à la télé, c’était pas beau ni présentable. Il fallait absolument les lisser ou mettre des produits chimiques. Personnellement, je crois que ça a beaucoup affecté l’identité de la femme noire. J’ai grandi avec une sorte de dégoût pour mes propres cheveux. Ça m’a beaucoup affectée lorsque je grandissais », déplore-t-elle.
À 18 ans, c’est le sursaut. « Je me suis dit, non, ce sont mes cheveux au naturel. Je m’étais révoltée. J’avais coupé tous mes cheveux et je m’étais dit qu’à partir de ce moment-là, je n’allais plus les défriser et m’accepter comme je suis. Ça a été pour moi comme une sorte de guérison, une sorte d’acceptation de mon identité. Ça m’a permis de faire le ménage en moi et de savoir mettre les choses à leur place pour ma propre santé mentale. Aujourd’hui encore, je garde mes cheveux naturels », explique Julie qui prône la beauté de la différence.
L’autre cheval de bataille pour les femmes noires, ce sont les courbes, selon la jeune femme. « La beauté est subjective et d’un pays à l’autre, elle est différente. À propos des formes, en Afrique, elles sont considérées d’une autre façon qu’en Occident. On veut parfois montrer qu’il n’y a qu’une seule forme de beauté mais je pense que c’est important de ne pas mettre de pression à ce sujet, surtout au niveau des médias. La femme devrait s’accepter dans toute sa diversité », affirme-t-elle.
Une façon d’être réprimée
« Nous pouvons être extraverties. Il y a tendance à être connues pour des personnes qui font beaucoup de bruit. Pour les gens issus des communautés africaines, on peut parler plus fort, faire des gestes, être très expressifs dans notre façon de communiquer. Dans certains milieux, ça peut passer pour une attitude agressive ou une façon de forcer à prendre part à une opinion mais ce n’est vraiment pas le cas. Du coup, j’ai parfois réagi à l’inverse et parfois à l’extrême en m’excusant constamment, en changeant de ton pour qu’on ne comprenne pas mal ce que je veux dire », se lamente Julie.
Isolée au secondaire, elle sentait le besoin de toujours devoir faire plus que les autres. « Au lycée, de la seconde à la terminale, on était toujours un petit groupe, celui des minorités noires. J’ai toujours eu l’impression de devoir faire dix fois plus que les autres. J’avais cette peur qu’on me dise que c’est parce que je suis noire que je ne peux pas arriver à faire ceci ou cela. J’ai l’impression que ça me travaille encore aujourd’hui, qu’il faut que je fasse plus, que je ne fasse pas d’erreur, qu’on utilise ma couleur de peau pour déterminer qui je suis. J’ai l’impression que c’est comme un fardeau, que je dois représenter toute la communauté », précise-t-elle.
Les femmes noires, moteur de l’activisme
« Les femmes sont vraiment les pionnières, les activistes dans la société. Pour Black Lives Matter, finalement, c’étaient des femmes noires, à l’université, dans la communauté, pour la plupart. En ce moment, c’est intéressant. Avec le meurtre de George Floyd, il y a une politique plus anti-raciste. On est plus conscient du problème, qu’il faut changer les choses. Il y a des programmes pour soutenir l’emploi des Noirs. Mais on verra. Il y a plus d’évènements et de conversations aujourd’hui. C’est un moment de possibilité dans la communauté. Il y a plus d’endroits où se rassembler. Il y a plus de programmes pour les jeunes, et les parents se mobilisent un peu plus dans les écoles, les matières qui y sont enseignées et le contenu », se félicite Annette Henry.
Face à l’ignorance et à l’étroitesse d’esprit, l’arme de Julie, c’est l’humour. « Le bon côté de ce genre de situation, c’est que j’ai appris à prendre les choses avec beaucoup d’humour, à en rire pour ne pas les prendre personnellement », s’exclame-t-elle.
Pour plus d’information visitez : https://educ.ubc.ca/dr-annette-henry