Une fiction de l’an 2030 : La ville la plus verte au monde n’est pas un long fleuve tranquille

Dans cette chronique on imagine le Vancouver de 2030. L’immense majorité de la flotte de voitures a été remplacée par des vélos, la vue des canettes, des gobelets à café et des menus tout carnés est devenue rare, les espaces en ville ont été verdis et la préservation de la ressource en eau douce érigée en véritable passion locale. Malgré les apparences, il ne s’agit là que du début de la ville soutenable.

Les histoires que l’on se raconte font le réel

Certes le décor, au moins, est posé. Mais ce récit de la ville sobre et écologique n’est pas encore ancré dans toutes les consciences car il coexiste encore avec le modèle qui l’a précédé. Dans ce modèle libéral dont quelques apôtres sont toujours bien actifs, on défend les mythes de la liberté absolue et à tout prix, de l’existence d’une « main invisible » censée réguler les marchés, que les ressources naturelles sont là uniquement pour servir aux humains, et les humains pour se servir à eux même… L’utopie écologique, démocratiquement réglementée, bienveillante et qui protège avant toute chose la vie, n’est jamais qu’un autre récit. Et les récits sont toujours attaqués.

« … Vancouver en 2030 est toujours un haut lieu des productions cinéma ». | Photo par Chris Murray

Les récits en général sont composés dans l’imaginaire de leurs auteurs. Parfois, ils parviennent à coloniser les imaginaires de leurs lecteurs. Leur puissance n’est que rarement évoquée et pourtant le monde « réel » tel que nous le percevons dépend largement des histoires que l’on se raconte. Les anciens récits étaient parvenus à faire croire aux pouvoirs divins des rois – en dépit du bon sens parfois – ils étaient parvenus à faire croire à la possibilité d’une croissance économique et matérielle infinie sur une planète finie. Les récits économiques ont fait croire à la théorie du ruissellement, et les récits du marketing aux bienfaits du tabagisme.

L’utopie écologique naissante n’est évidemment pas épargnée. Ses détracteurs y voient des failles sur le flanc économique : « Si l’on se prive des taxes, des frais de stationnement et du produit des ventes de carburant que garantit le modèle d’une voiture par adulte consentant, comment allons-nous payer notre police ? Et si l’on se prive d’une partie des ressources de l’activité portuaire en ralentissant l’activité par idéologie et pour laisser les écosystèmes marins se régénérer, comment allons-nous rester compétitifs ? Et puis regardez, Vancouver en 2030 a beau se peindre en vert, la ville est toujours bien reliée au monde entier par son aéroport qui pollue, et puis elle héberge volontiers les milliardaires… est-ce bon pour la planète, ça, les milliardaires qui passent leur temps dans les airs ? ».

On ne vend jamais que des récits

En dépit des critiques, les visionnaires de la ville la plus verte au monde ont un plan. Tout d’abord Vancouver en 2030 est toujours un haut lieu des productions cinéma. Seulement voilà, la ville transformée en oasis de verdure où rares sont les voitures n’a plus que ce décor à offrir. Est-ce que par manque de béton et de gris on a vu l’industrie du cinéma nous bouder ? Évidemment que non ! Le décor écologique-urbain de Vancouver est d’ailleurs le plus prisé au monde. Et à chaque fois qu’un film est tourné chez nous, c’est le modèle de la ville verte qui se propage dans les imaginaires d’Amérique, comme d’Asie, ou d’Europe. Le rêve d’une ville idéale se propage à mesure qu’il se construit.

La belle Vancouver qui voit encore passer et repartir tant d’immigrants s’était longtemps vu reprocher de « manquer de culture ». Il se pourrait que le tournant écologique soit en train de changer les choses. Dans ce contexte d’une ville inspirée et inspirante, Vancouver devient peu à peu une ville de poètes et d’artistes. Elle est une ville des plus prolifiques sur la scène artistique. On écrit, on dessine, on tourne et on chante les louanges d’une nouvelle ère de sobriété, de santé et d’équilibre. Livre après livre, album après album, on y cultive l’espoir qu’à force d’essayer, à force de dire, à force d’inspirer on parvient à désendoctriner les esprits nourris jusqu’ici à l’individualisme narcissique, et là, peut-être bien que le réchauffement climatique pourrait être arrêté. Peut-être bien que l’humanité pourrait réussir à restaurer la vie et la santé des écosystèmes partout où elles les avaient abîmées. Peut-être bien…

De cette culture des arts et des tomates, de l’héritage de Greenpeace, de l’influence de David Suzuki, des narratifs guerriers de Seth Klein et tant d’autres figures, les juristes de Vancouver se sont fait spécialistes des droits nouveaux. Des entités indispensables à la vie et qui n’avaient jamais encore été légalement protégées seront bientôt reconnues comme des « personnes » à part entière avec des droits inviolables : les forêts, les animaux, des cours d’eau et même des montagnes.

C’est ça la puissance des récits ! Qu’ils soient scientifiques, économiques, écologiques ou éthiques, ils forment notre vision du monde et du réel, et ils déterminent les règles que l’on entend s’appliquer.

Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur EcoNova Education et Albor Pacific et Conseiller des Français de l’étranger.