Bien qu’elle soit dotée d’un large réseau d’écoles francophones, la Colombie-Britannique n’offre que peu de choix d’études post-secondaire en français. Des étudiants sont contraints de déménager à l’est du pays, ce qui n’est pas sans conséquences sur leurs finances et leur vie sociale, et les établissements peinent à voir leurs financements se pérenniser. Un rapport des acteurs de terrain pointait ces difficultés en 2021.
Suzanne Leenhardt – IJL- Réseau.Presse – Journal la Source
D’ici un an, Franck Lumpungu va déménager au Québec. Ce trentenaire installé depuis trois ans à Abbotsford, en banlieue de Vancouver, est originaire du Congo et diplômé de médecine. Pour pouvoir exercer au Canada, il va devoir retourner aux études. « En Colombie-Britannique, j’aurais dû tout recommencer à zéro, soit à peu près huit années d’études, alors qu’au Québec ça sera plus court, explique-t-il. C’est un grand défi de déménager, d’avoir un nouveau mode de vie, de transport et d’aménagement, mais je suis déterminé », affirme-t-il.
Bien que la province se soit dotée depuis peu d’une politique de services en français et que le gouvernement fédéral souhaite développer accroître l’immigration francophone à l’Ouest, les possibilités pour ceux qui veulent se former en français sur place restent limitées.
Un manque de formation en sciences et technologies
Perchée sur la colline de Burnaby, une banlieue de Vancouver, l’université Simon Fraser possède depuis 2004 un Bureau des affaires francophones et francophiles (BAFF) qui offre des programmes en français en sciences sociales et en éducation, allant jusqu’à la maîtrise et le doctorat. « On est un continuum de l’éducation en français. On travaille avec les partenaires du conseil scolaire francophone, du conseil jeunesse et la fédération des parents francophones dans l’optique de construire une communauté vibrante », souligne Gino Le Blanc, directeur du BAFF.
Situé au centre-ville de Vancouver, le Collège Éducacentre propose aussi des formations plus professionnalisantes en arts, éducation, santé, tourisme et hôtellerie mais seulement à distance. À l’université de la Colombie-Britannique (UBC), les étudiants peuvent choisir un cours sur la littérature et la culture française.
« Dans l’Ouest, les programmes en français dans le secteur des sciences, de la technologie ou de la médecine ne sont pas disponibles alors qu’il y a une clientèle qui aspire à étudier ici plutôt que de déménager », pointe Martin Normand, le président-directeur général par intérim de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC). Son organisme, avec la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada (2022), a organisé des États généraux sur le postsecondaire en contexte francophone minoritaire en 2021. Le rapport écrit qui a été publié à l’issue de ces états généraux a épinglé les difficultés des étudiants et des universités et a émis 32 recommandations pour le fédéral.
Un peu plus de 7,8% de l’offre d’étude en français se trouve dans l’Ouest canadien
Concernant l’Ouest canadien, soit l’Alberta, le Manitoba, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique, on y apprend que les programmes universitaires en français dans cette même région ne représentent que 7,9% de l’offre totale, pour une population des communautés francophones et acadienne qui représente 19,8%. Le document mentionne aussi que « les personnes qui ont étudié en français et ont obtenu un diplôme universitaire en 2015 avaient migré vers une autre province près de trois fois plus souvent que celles qui ont étudié seulement en anglais ».
La question du financement
Depuis cet état des lieux, des groupes de travail ont été mis en place. Sur les 32 recommandations émises, « trois ont été complètement réalisées et 26 ont été abordées », assure Martin Normand. Des barrières subsistent pourtant dans la création de nouveaux programmes. « Parfois c’est l’ordre professionnel qui exige un contrôle ou la province qui ne veut pas créer de la compétition et estime que l’offre est suffisante », illustre Martin Normand. De son côté, la province indique au journal La Source que « les établissements prennent des décisions opérationnelles indépendantes concernant les programmes éducatifs et universitaires qu’ils proposent ».
Mais il y a aussi la question du financement disponible. Plusieurs établissements peinent à assurer leurs dépenses de fonctionnement et sont contraints de proposer des projets innovants pour survivre. « Dans le monde universitaire, on fonctionne sur des échéanciers de cinq à dix ans. Le fait que ces enveloppes-là ne soient pas pérennes, c’est beaucoup d’instabilité pour bâtir nos programmes », pointe Gino Le Blanc. Contactée sur cet aspect spécifique, la province n’a pas répondu à La Source dans les délais impartis pour la rédaction de cet article.
Dans le plan d’action pour les langues officielles 2023-2028, une enveloppe de 128 millions de dollars sur cinq ans est destinée à l’éducation postsecondaire dans la langue de la minorité. Cette dernière s’ajoute aux 30,4 millions de dollars (pour la période 2023-2024) annoncés dans le budget de 2021. Une annonce positive mais en deçà des attentes pour Martin Normand qui veut se montrer « vigilant sur les décisions du fédéral et s’assurer que le postsecondaire en français demeure attrayant».