Le documentaire REAL de la réalisatrice italienne Adele Tulli s’ouvre sur une scène où un jeune garçon interagit avec un assistant virtuel. Il lui pose une question aussi innocente que celle qu’il adresserait à un être humain : « Qui est ta maman ? » Cette interaction souligne à la fois la familiarité des nouvelles générations avec la technologie et l’apparence presque humaine de ces dispositifs. Cependant, la réponse de l’assistant virtuel marque la distinction fondamentale : il n’a ni parents ni existence biologique, contrairement aux humains. Cette ouverture introduit d’emblée le thème central du documentaire : la frontière floue entre le réel et le numérique.
Dans REAL, Adèle Tulli explore les dimensions complexes de notre immersion quotidienne dans la technologie : Google Earth, Zoom, Bixby, Alexa, Facebook, Instagram, YouTube, UberEats, OnlyFans, et ChatGPT, pour ne citer que quelques exemples, sont autant d’outils avec lesquels nous interagissons chaque jour. Le film met en lumière à quel point la technologie s’est ancrée dans nos vies, modifiant profondément nos modes de communication, de travail, de loisir, et même de relations humaines.
La réalisatrice, déjà remarquée pour son documentaire Normal, dans lequel elle analyse la construction et l’assimilation des rôles de genre dans la société italienne, poursuit son exploration des dynamiques sociales de notre société contemporaine avec REAL. Ce nouveau documentaire interroge les défis d’un monde où la technologie devient omniprésente, presque inévitable et les conséquences sur la définition de ce qui est
« réel ». Que ce soit pour surveiller, manger, se divertir, se déplacer ou encore interagir avec autrui, tout peut désormais se faire par un écran. Le contact humain direct perd son exclusivité dans cette nouvelle réalité.
Adèle Tulli pose la question de la définition même de la réalité dans un monde où les relations, qu’elles soient amicales, amoureuses ou professionnelles, se créent en ligne autant qu’elles se vivent dans les lieux physiques tels que les terrasses de café ou les salles de réunion. Un avatar dans le documentaire souligne d’ailleurs la nuance en distinguant le monde « physique » du monde « numérique », plutôt que d’opposer le réel au virtuel.
Lors d’une entrevue avec The Hollywood Reporter, la réalisatrice souligne que la figure du masque est une clé de lecture essentielle dans son documentaire, une métaphore renforcée par la pandémie de la COVID-19, qui a accéléré la numérisation de nos vies. Elle précise cependant qu’elle ne cherche pas à apporter des réponses définitives, mais à poser des questions sur ces transformations profondes. « Nos écrans sont devenus des portails vers des paysages numériques où se déroule une grande partie de nos interactions », affirme Adèle Tulli. Cette idée est illustrée par le format visuel du documentaire, qui resserre parfois le cadre pour adopter
celui d’un téléphone portable, immergeant le spectateur dans cette nouvelle réalité numérique. De plus, la réalisatrice italienne varie les techniques de tournage en employant une webcam, un drone, une caméra de surveillance, et même les capteurs d’un robot aspirateur, offrant ainsi une perspective technologique sur le monde qui nous entoure. Le point de vue n’est plus seulement humain, mais aussi celui des machines qui nous observent avec leurs « yeux bioniques ».
Le documentaire explore divers aspects des effets de la technologie sur nos vies. Dans une séquence, la communauté queer sur une plateforme de réalité virtuelle est présentée comme un espace de découverte et d’exploration identitaire. Pour certains, c’est là qu’ils ont pu affirmer leur transidentité, comme le souligne un participant : « Je suis trans, c’est réel. » Pour d’autres, la réalité virtuelle devient une échappatoire, un moyen de fuir le monde physique et ses contraintes, ouvrant ainsi un espace sans limites pour la création de soi.
Mais REAL ne se contente pas de célébrer les possibilités offertes par ces nouvelles technologies. Le film aborde également les dangers de l’hyperconnexion, notamment la dépendance qu’elle peut provoquer. Une personne passionnée de jeux vidéo et y jouant fréquemment témoigne de son combat pour se libérer de sa dépendance aux jeux, expliquant qu’il veut juste « se sentir humain à nouveau ». Isolé, il devient asocial et dépressif, un sentiment partagé par plusieurs « influenceurs » présents dans le film. Ces derniers dévoilent la solitude et la superficialité cachées derrière les vidéos qu’ils produisent, montrant une réalité esthétiquement plaisante mais souvent non reliée à leur propre vécu.
Le documentaire souligne également la complexité des frontières entre le public et le privé, entre le vrai et le faux, ainsi que la dissolution des distinctions entre un corps physique et sa simulation numérique. Dans ce monde où la technologie redéfinit sans cesse les contours de l’expérience humaine, les cryptomonnaies, les NFT, la blockchain, le métavers, la réalité virtuelle (RV) et l’intelligence artificielle (IA) jouent tous un rôle de plus en plus central.
REAL a remporté le premier prix dans la catégorie documentaire au 77e festival du film de Locarno, en Suisse, au début du mois d’août dernier. Ce projet est né de la collaboration entre plusieurs productions italiennes (Pepito Produzioni, FilmAffair, RAI Cinema et Luce Cinecittà) et une société de production française (Les Films d’Ici).
REAL sera projeté au VIFF, International Village 8, le 28 septembre à 19 h et le 29 septembre à 16 h 30.
Pour plus d’informations sur la programmation du VIFF : www.viff.org/festival/viff-2024