
Photo par Quoi Media
Il est temps d’investir dans une vision à long terme et dans la continuité. Le Canada investit beaucoup dans la recherche en santé, mais cet argent est-il dépensé judicieusement ?
Les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) à eux seuls reçoivent plus de 1 G$ par année, dont 95 % sont directement versés sous forme de subventions et de bourses pour des projets en santé. De grands progrès ont été réalisés dans la mise en place d’une infrastructure nationale de recherche en santé, y compris une attention grandissante à l’incidence concrète des recherches pour la population canadienne. Cela cadre avec la mission des IRSC, soit de transformer les résultats scientifiques en retombées tangibles, comme une amélioration de la santé, de meilleurs services et de meilleurs systèmes de santé pour les Canadien·ne·s. C’est une bonne nouvelle.
Ces dernières années, les IRSC ont financé plusieurs plateformes de formation en recherche en santé axées sur une définition élargie de l’excellence, qui met l’accent sur les relations et la formation afin d’améliorer divers résultats en santé et de transformer nos systèmes de santé.
Ces plateformes intégrées aux
systèmes de santé et de services sociaux visent à former la prochaine génération de chercheur·euse·s, de clinicien·ne·s et de prestataires de services en santé de manière à optimiser leur incidence concrète sur le terrain. C’est un excellent modèle canadien d’alliance entre la recherche et la collaboration communautaire.
Mais un schéma préoccupant se répète : à peine ces nouvelles équipes prennent-elles leur élan que le financement s’arrête, avant que les retombées puissent se concrétiser pleinement. Le fait de privilégier systématiquement la nouveauté mène trop souvent au démantèlement massif et dévastateur d’équipes en développement.
Les équipes intégrées de recherche en santé, de mobilisation des connaissances et de formation ont besoin de temps pour consolider et maintenir les retombées qu’elles commencent à observer. L’établissement de relations et de collaborations solides entre les chercheur·euse·s, les prestataires de services de santé et le public exigent du temps et de la constance.
Autrement dit, le Canada reste un excellent terreau pour les projets pilotes – un pays fort en innovation. Mais la pérennité fait défaut. Nous devons miser sur une vision à long terme et sur la continuité pour que nos investissements en recherche déploient tout leur potentiel.
Pour mieux assurer la durabilité des retombées, il faut repenser la façon d’évaluer et de soutenir la recherche. Nous devons offrir davantage de possibilités aux programmes existants de recherche, de mobilisation des connaissances et de formation pour qu’ils puissent se poursuivre. Chaque fois qu’une équipe de recherche doit cesser ses activités faute de financement, ce sont des approches de mobilisation soigneusement élaborées, une construction d’équipe progressive et des progrès stables autour de programmes conçus pour leur incidence qui sont perdus.
Il est important de souligner que les inégalités en santé et les besoins non satisfaits auxquels font face certaines communautés nécessitent un financement significatif, stable et continu pour appuyer la recherche collaborative entre les professionnel·le·s de la santé, les chercheur·euse·s et les membres des communautés.
La limitation des projets de recherche à court terme érode aussi la confiance du public, menaçant ainsi les fondements mêmes de la recherche en santé. Aux yeux de partenaires communautaires et de patient·e·s, voir un financement s’interrompre avant que les résultats ne soient atteints – et encore moins consolidés – alimente l’idée que « la science ne sert à rien ». Cela peut aussi donner l’impression que les fonds consacrés à la recherche seraient mieux utilisés s’ils étaient réaffectés à la pratique clinique et aux soins de santé.
La situation est également éprouvante pour les chercheur·euse·s. Par découragement devant un système voué à l’échec, certain·e·s se détournent délibérément de la recherche, mettant fin à un élan qui aura parfois pris des décennies à bâtir.
Il faut aussi considérer les conséquences sur la santé des Canadien·ne·s découlant de la dissolution précipitée d’une équipe. Avant de laisser une équipe de recherche se débattre puis disparaître faute de financement, nous devons lui donner la possibilité de plaider en faveur de sa pérennité.
Avant de mettre un terme à un financement, une question clé devrait être posée : « Combien de personnes seraient affectées si cette recherche ou cette formation s’arrêtait ? ».
Bien entendu, donner la priorité à des projets de recherche à plus long terme comporte certains risques, comme la monopolisation des financements et la concentration des ressources au profit de groupes plus établis. Par conséquent, l’accent mis sur la pérennité doit être accompagné de réflexions plus vastes sur le développement de politiques et de structures de gouvernance fondées sur les principes d’équité, de diversité et d’inclusion, et encourager la rotation des rôles de leadership.
Nous devons aussi nous assurer que les chercheur·euse·s en début de carrière soient à l’avant-plan et créer des parcours professionnels pour préparer la relève et constituer de nouvelles équipes de direction, notamment pour des projets à long terme.
Il est temps de miser sur la qualité, la mise en œuvre et la pérennité dans le financement de la recherche en santé. Assurer la viabilité de la recherche en santé à long terme contribuera à améliorer la qualité de la science et du système de santé. La population canadienne ne mérite rien de moins.
La Dre Nicole Letourneau est professeure à la Faculté des sciences infirmières et à la Cumming School of Medicine (pédiatrie, psychiatrie et sciences de la santé communautaire) de l’Université de Calgary.
La Dre Isabelle Malhamé est interniste spécialisée en médecine obstétricale et professeure agrégée au Département de médecine et au Département d’obstétrique-gynécologie de l’Université de Montréal.
Source : www.quoimedia.com