le Mardi 7 octobre 2025
le Mardi 7 octobre 2025 0:05 | mis à jour le 7 octobre 2025 0:06 Chronique

Tamio Wakayama l’Étranger Ennemi : Hommage à un photographe et activiste hors du commun

Tamio Wakayama l’Étranger Ennemi : Hommage à un photographe et activiste hors du commun
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Inaugurée à la Galerie d’Art de Vancouver le 3 octobre, Enemy Alien : Tamio Wakayama est la première grande exposition consacrée au photographe canadien d’origine japonaise Tamio Wakayama, décédé en 2018.

C’est Paul Wong, commissaire d’exposition mais surtout un ami et confrère de Tamio Wakayama, qui a convaincu la Galerie d’art de Vancouver de devenir le lieu où le travail de Tamio serait enfin vu et apprécié à sa juste valeur. Malgré sa détermination, « c’était un travail intimidant de raconter la vie entière de quelqu’un qui n’est plus là aujourd’hui », avoue-t-il. Paul voit néanmoins dans cette exposition un travail crucial de mémoire lorsque certains gouvernements actuels perpétuent les violences et injustices dont Tamio a été témoin toute sa vie. « Je pense que l’art doit être un outil important pour penser les problématiques de nos jours », souligne Eva Respini, directrice du programme de conservation à la Galerie d’Art de Vancouver.

Un engagement profondément enraciné dans sa propre histoire

Né en 1941 à New Westminster en Colombie-Britannique, Tamio Wakayama et sa famille ont fait partie des 22 000 Canadiens d’origine japonaise déplacés de force dans des camps d’internement suite à l’attaque de Pearl Harbor. Après la Seconde Guerre mondiale, il a dû une nouvelle fois faire face à l’exil alors que sa famille était contrainte de s’isoler à l’est des Rocheuses.

C’est suite au mythique discours de Martin Luther King en 1963 que Tamio, alors âgé de 22 ans, prend la route vers le sud des États-Unis afin de rejoindre le mouvement américain des droits civiques et plus précisément le SNCC, le comité de coordination non-violent des étudiants à Atlanta.

300 photographies qui retracent cinq décennies de carrière

L’exposition consacrée au photographe est divisée en trois zones distinctes qui s’apparentent à trois étapes de sa vie. La première retrace le voyage de Tamio dans le sud-est états-unien, et tout ce qu’il a pu rencontrer sur sa route. Ses photos sont un réel témoignage du soulèvement et du courage des activistes et des familles noires en quête de droits et de liberté. Méticuleusement choisis et développés par Paul Wong, « 70 des 100 clichés exposés n’avaient jamais été développés ni vus par le public auparavant », explique l’artiste. « Mais ceci n’aurait pas été possible sans le travail précieux d’organisation des archives réalisé par Mayumi Takasaki », avec qui Tamio a partagé sa vie pendant 40 ans.

Paul Wong, ami de Tamio, réussi un tour de force à travers cette exposition humainement et historiquement riche et émouvante. | Photo par Lauren Théodet

La deuxième partie de l’exposition met en lumière les études de Tamio sur la vie quotidienne au Canada, au Japon ou encore à Cuba, notamment sur les communautés autochtones de la Saskatchewan et les Doukhobors de l’est de la Colombie-Britannique. Tamio expérimente aussi avec les formes et la nudité et collabore avec des artistes, ce qui lui permet de s’affirmer en tant qu’artiste photographe.

Enfin, la dernière partie de l’exposition marque le retour de Tamio à Vancouver. En quête d’appartenance et de reconnexion avec son passé et ses origines, il passera des années à documenter la construction et l’organisation de la communauté japonaise vancouvéroise. Le festival de Powell Street en est le décor et symbole ultime et il en sera le photographe officiel jusqu’à son décès en 2018.

Le film documentaire de Cindy Mochizuki, Between the Pictures : The Lens of Tamio Wakayama, clôture l’exposition grâce à une combinaison d’images d’archives, d’animations, d’interviews et de récits basés sur le mémoire de Tamio retraçant sa vie à travers ses propres mots.

« Tamio n’était pas certain de pouvoir se débarrasser de ses photos », raconte Mayumi. « Il disait, si tout ça s’arrête et que mon travail ne m’appartient plus, qui serais-je ? C’était émotionnellement difficile pour lui de s’en détacher ». Il connaissait pourtant l’importance et la valeur de ses œuvres et c’est pourquoi l’Université de Stanford rendra public l’ensemble de son travail dans le but de continuer ce devoir de remémoration.

Le grand public aura accès à l’exposition jusqu’au 22 février 2026. Et pour faire durer le plaisir, celle-ci est accompagnée de la première publication consacrée à la remarquable carrière photographique de Tamio Wakayama offrant une perspective intime sur la vie et l’œuvre de l’artiste.