le Mardi 7 octobre 2025
le Mardi 7 octobre 2025 0:43 | mis à jour le 7 octobre 2025 0:44 Culture

Un hommage à Sveva Caetani, une artiste prodigieuse de la C.-B.

Un hommage à Sveva Caetani, une artiste prodigieuse de la C.-B.
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Une reconnaissance posthume pour l’artiste canadienne d’origine italienne dont l’œuvre fera l’objet d’une exposition au Musée National du XXIe siècle (MAXXI) de Rome du 3 octobre 2025 au 4 janvier 2026.

Si l’artiste Sveva Caetani (1917-1994), dont la famille immigre en Colombie-Britannique dans les années vingt n’est pas mieux connue au Canada, ce n’est pas parce que son legs est banal, loin de là. Cette femme remarquable, tant par ses réalisations que par son étonnante histoire personnelle et familiale, gagne à être présentée au grand public.

Rencontre avec Sveva

À l’été 2023, j’ai eu le privilège d’être accueillie en résidence artistique au centre Caetani, situé au cœur de Vernon. Pendant deux semaines, je me suis imprégnée de l’atmosphère unique du lieu tout en œuvrant sur mon projet de bande dessinée. Ce séjour m’a permis de découvrir l’histoire fascinante de la famille Caetani, et plus particulièrement celle de Sveva, une artiste au parcours singulier et inspirant. Son œuvre m’a profondément touchée, éveillant en moi le désir de partager une partie de ce que j’ai appris sur elle et sur l’héritage qu’elle a laissé.

Des origines nobles

Famille originaire de Pise, les Caetani sont reconnus en Italie comme une des grandes familles nobles de Rome. Elle compte dans ses rangs deux papes, Gélase
II et Boniface VIII, et plusieurs cardinaux.

Le père de Sveva, le duc Leone Caetani di Sermoneta, étudie dès l’âge de 14 ans ce qu’on appelle alors les langues orientales et anciennes. Jeune adulte, il voyage dans plusieurs pays du globe et parle couramment 11 langues.

Sveva Caetani, 1983. | Photo de The Museum & Archives of Vernon

Érudit, il écrit les Annales de l’Islam (Annali dell’ Islam), une anthologie en 10 volumes qui, encore aujourd’hui, est reconnue comme une référence en matière d’études islamiques.

Leone se marie en 1901 avec Vittoria Colonna, fille du Prince de Colonna de Rome, une famille historiquement rivale des Caetani. Le mariage, probablement arrangé, n’est pas heureux et n’engendre qu’un seul enfant, Onorato, qui demeure lourdement handicapé à la suite de complications dues à la rougeole. Le couple ne pourra se divorcer, mais vit tout de même séparément tout au long de leur vie.

Leone aura une liaison extraconjugale avec Ofelia Fabiani, la danseuse, comme se plaisait à l’appeler la famille Colonna. La jeune romaine, de 38 ans la cadette de Leone, aurait fait la connaissance de celui-ci alors qu’elle travaillait comme danseuse, probablement dans des revues musicales destinées aux soldats.

Une enfance marquée par le privilège

Le 6 août 1917, Sveva naît à Rome. Leone offre une somptueuse demeure à son amante et sa fille où la famille vit quelques années.

Devant la montée grandissante du fascisme au début du XXe siècle en Italie, la famille immigre au Canada et s’installe dans la vallée de l’Okanagan, en Colombie-Britannique. Cette partie du monde n’est pas inconnue de Leone, car il l’a visitée lors d’un voyage de chasse dans la région de Kootenay décrit dans Selkirks, un récit de voyage qu’il publie en 1891.

La jeune Sveva vit dans l’opulence et mène une vie privilégiée. Son éducation est assurée par des gouvernantes anglaises et elle voyage avec ses parents à Paris, New-York, Monte-Carlo et La Havane. Elle démontre un intérêt et un talent certain pour l’art et reçoit des leçons privées du peintre russe André Petroff.

Cependant, le malheur s’abat sur la famille quand le krach boursier de 1929 décime la fortune de Leone, majoritairement investie en bourse. C’est la fin de l’époque voyages et Sveva est envoyée pour la première fois à l’école Crofton House de Vancouver.

La grande noirceur

Les années qui suivent sont sombres pour la famille. En 1934, Sveva contracte à son tour la rougeole. Considérant les conséquences de cette maladie sur l’état de santé de son demi-frère, ses parents, affolés, mettent fin à sa scolarité et Sveva retourne à son domicile de Vernon.

Peu de temps après, Leone reçoit un diagnostic de cancer de la gorge auquel il succombe en 1935.

La vie de Sveva change alors dramatiquement car Ofelia, désemparée par la mort de son mari, tombe en proie à des problèmes graves de santé mentale qui la poussent à se séquestrer dans sa maison avec sa fille et sa gouvernante, Miss Juul. Aujourd’hui, on peut penser qu’Ofelia était atteinte d’un trouble d’anxiété sévère avec agoraphobie, mais en 1935, elle fut perçue comme une femme excentrique.

Cet isolement dure 25 ans, soit jusqu’à la mort d’Ofelia, en 1960. Sveva dira plus tard qu’elle se sentait pendant cette période emmurée dans un voile de silence.

Renaissance et récapitulation

Après la mort de sa mère, Sveva cesse de peindre pendant une longue période et enseigne le français dans une école privée de Vernon.

En 1969, Sveva, âgée de 52 ans, retourne sur les bancs d’école pour terminer ses études secondaires. Elle poursuit l’année suivante à l’Université de Victoria et obtient un certificat en enseignement.

À compter de 1971, Sveva se remet à peindre sur une base régulière et à la fin des années 70, elle commence un travail colossal : la création de la série nommée Recapitulation. Il s’agit de 47 œuvres composées de 60 toiles réalisées en aquarelle. Ces tableaux retracent le voyage de Sveva à travers sa propre vie, guidée par son père Leone. Cette série, qu’elle terminera en 1989, décrite par Sveva comme étant un examen de la condition humaine, est fortement inspirée par la première partie de la Divine Comédie de Dante Alighieri : L’enfer.

Sa technique, qu’elle appelle la brosse sèche, se distingue par des couleurs très lumineuses et vives. Sveva l’obtient en appliquant ce qu’elle nomme d’interminables couches consécutives de couleurs distinctes. Son style est symbolique et sa démarche est intuitive. Sveva explique en effet que les 47 œuvres qui composent Recapitulation sont toutes apparues à elle en pensée comme des étincelles, de manière vivide, avec la composition, les couleurs, le ton… Par la suite, elle devait rapidement faire des croquis en laissant le crayon aller où il voulait, dans une forme de dessin automatique.

Pour parler d’elle-même elle paraphrase Hokusai : Je suis une vieillarde, folle de peinture.

Le centre Caetani

Il est regrettable d’apprendre que Sveva n’a pas eu beaucoup de reconnaissance pour son travail dans les dernières années de sa vie. Elle a tenté d’approcher le Victoria Art Gallery et la Vancouver Art Gallery, mais aucune ne s’est montrée intéressée par son œuvre. Ce n’est que plus tard que l’Alberta Art Foundation a accepté de prendre la série entière pour une exposition.

En 2021 les œuvres sont retournées à Vernon, où elles sont exposées depuis au Centre Caetani, qui comprend une galerie d’art ainsi qu’une résidence pour artistes.

En juillet 2025, la série a quitté le centre Caetani pour être expédiée en vue d’une exposition au Musée National du XXIe siècle (MAXXI) de Rome. L’exposition, dont la commissaire est Chiara Ianeselli, sera intitulée Sveva Caetani, forme et fragments et exposée du 9 octobre 2025 au 4 janvier 2026.

Pour Laisha Rosnau, directrice générale du Centre Caetani, cette exposition présentée dans le pays natal de Sveva est une reconnaissance exceptionnelle du legs qu’elle a laissé.

Pour en savoir plus : www.caetani.org

 

Caetani di Sermoneta, An Italian Family in Vernon, 1921-1994

Géraldine Grotowski est une artiste de Québec qui a été accueillie en résidence artistique durant l’été 2023 au Centre des arts Caetani à Vernon dans la région de l’Okanagan en Colombie-Britannique.