le Jeudi 30 octobre 2025
le Jeudi 30 octobre 2025 15:52 | mis à jour le 30 octobre 2025 18:41 Initiative de Journalisme Local

L’itinérance en hausse à Victoria

La rue Pandora est le refuge de plusieurs personnes en situation d'itinérance | Martin Bouchard
La rue Pandora est le refuge de plusieurs personnes en situation d'itinérance | Martin Bouchard
L’itinérance en hausse à Victoria
00:00 00:00

La campagne annuelle de sensibilisation Homelessness Action Week s’est terminée il y a quelques jours à Victoria, mais dans les rues de la capitale, la crise, elle, ne prend jamais de pause. 

Martin Bouchard – Initiative de journalisme local – Journal La Source

Julian Daly, directeur général de Our Place Society, un organisme qui vient en aide aux personnes vivant dans la rue, accueille la semaine d’action contre l’itinérance avec un demi-sourire : « Pour nous, l’action contre l’itinérance, c’est 365 jours par année », commence-t-il. 

Son organisme distribue des repas, offre des lits d’urgence, soutient la désintoxication et l’accompagnement social. « Nous avons observé une hausse de 25 % de la demande de repas en six mois », ajoute-t-il. « La situation se détériore, et les drogues que nous retrouvons maintenant, surtout le fentanyl, bouleversent complètement la donne. »

Selon les dénombrements ponctuels des personnes en situation d’itinérance en 2025, publiés par le Capital Regional District (CRD) en partenariat avec le Community Social Planning Council (CSPC), 1 749 personnes vivent actuellement une situation d’itinérance dans le Grand Victoria, soit 84 de plus qu’en 2023. 

Parmi elles, 318 dorment à l’extérieur, 493 fréquentent les refuges d’urgence et 750 occupent des logements de transition. Les autres utilisent temporairement le système public ou dorment chez des proches. Près de 30 % des personnes recensées ont plus de 55 ans et la majorité sont des hommes (71,6 %). Finalement, les personnes autochtones demeurent nettement surreprésentées, constituant environ un tiers du total.

Des drogues qui tuent

Le  directeur général de l’organisation Our Place Society décrit une crise qui s’est transformée au fil des ans. « Il y a dix-sept ans quand j’ai commencé, la plupart des personnes que nous aidions avaient un problème d’alcool. Aujourd’hui, le fentanyl et la méthamphétamine dominent. Ces substances sont faites pour créer une dépendance maximale et dévaster des vies. Elles tuent vite, et pour celles et ceux qui survivent, elles laissent souvent des séquelles cérébrales irréversibles. »

Il constate que la majorité des personnes qui vivent depuis longtemps dans la rue souffrent de maladie mentale et de dépendance non traitées. « Nous avons besoin d’une approche “santé d’abord”, plutôt que “logement d’abord”. L’accès au logement ne suffit pas sans stabilisation médicale ou psychologique. » 

Pour lui, la compassion doit aller de pair avec la responsabilité. « Quand une personne est tellement malade qu’elle ne peut plus prendre de décision éclairée sur ses soins, la laisser sur un trottoir avec pour seul réconfort sa liberté civile intacte, ce n’est pas de la compassion, c’est de l’abandon. »

Our Place Society a pignon sur rue à quelques pas du centre-ville de Victoria | Martin Bouchard

Our Place Society exploite plusieurs refuges, un centre communautaire et des programmes de traitement des dépendances. Son approche repose sur la stabilisation avant l’hébergement durable. « Parfois, le geste le plus compatissant, c’est d’intervenir pour donner une chance réelle de rétablissement.» 

Julian Daly souligne que les programmes de réinsertion fonctionnent lorsque les soins sont d’abord accessibles : « Nos communautés de rétablissement obtiennent un taux de réussite de 70 %. Mais encore faut-il survivre assez longtemps pour y accéder. »

Si la semaine Homelessness Action Week sert à sensibiliser, pour lui, elle doit surtout rappeler que la crise est structurelle. « Le désordre dans la rue n’est pas une fatalité. C’est le résultat de choix effectués. Et ceci veut dire que nous pouvons faire d’autres choix. »

Les francophones doublement délaissés

Cette réalité, Nathalie Astruc, directrice générale de la Société francophone de Victoria, la voit aussi sous un autre angle : celui des francophones qui vivent la précarité dans un milieu majoritairement anglophone. « Peu de services sociaux sont disponibles en français, et les besoins ne sont pas visibles », explique-t-elle. 

Elle observe que certaines personnes préfèrent se taire plutôt que de demander de l’aide dans une langue qu’elles ne maîtrisent pas parfaitement. « Elles finissent par s’isoler davantage, parfois même au détriment de leur sécurité. »

Son analyse rejoint celle qu’elle faisait déjà lorsqu’elle travaillait à La Boussole, à Vancouver, un organisme d’aide aux francophones en situation d’itinérance. « Nous nous retrouvons dans un contexte de minorité linguistique. Les services sociaux sont rares, et encore plus rares en français. » 

À Victoria, ces réalités se superposent : manque de logements abordables, dépendances, santé mentale, vieillissement, fracture linguistique. Les deux directeurs constatent que l’initiative Homelessness Action Week, malgré ses bonnes intentions, ne suffit pas à inverser la tendance. « On parle d’une crise, mais ce qu’on vit, c’est un échec collectif à offrir des conditions minimales de dignité », résume Nathalie Astruc.

Julian Daly garde espoir que la mobilisation suscitée par la semaine d’action se traduira en changements concrets. « Nous avons vu ce qui fonctionne : la collaboration entre organismes, santé, logement et collectivités. Quand la volonté est là, le chemin existe. »