Exposition : Retour sur le Dollarton Pleasure Faire de 1972
Pour sa première exposition à la galerie Presentation House de Nord Vancouver, le photographe Bruce Stewart ouvre ses archives et sa mémoire d’une époque où tout paraissait possible. Embarquement immédiat pour un voyage vers un Vancouver méconnu : celui des années utopiques.
Tout d’abord, un petit voyage dans le temps. Nous sommes à la fin des années 60 et au début des années 70, des années turbulentes sur fond de guerre du Vietnam, de changements sociaux et de contre-culture. Sur la côte Nord de Vancouver vit alors paisiblement une communauté de « squatters »
logés sur les marécages dans des cabines de bois sur piliers délabrés construites autrefois par des pêcheurs. C’est un exemple primaire de la création d’une société écologiquement durable, dans laquelle sévit une communauté de libres penseurs, avec des moyens minimes comme une sorte de défi aux valeurs traditionnelles de la consommation et du bien-être matériel. Entre hippies à la recherche du Nirvana et écrivains célèbres, tels que Malcolm Lowry qui y écrira son classique Under the Volcano, ce lieu insolite foisonne d’idées alternatives si en vogue à l’époque. Dans ce microcosme géographique abrite un petit monde au mode de vie et aux moeurs plutôt libertaires, ce qui ne tardera pas à attirer les foudres du maire de la ville qui en ordonne l’éviction… et la destruction.
Les fleurs du ma…récage
En 1972, l’organisation de l’événement Dollarton Pleasure Faire fut une sorte d’ultime célébration et un acte d’appui aux habitants du Maplewoods Mudflats, un acte de protestation finale avant l’inévitable. Conçu comme un pied de nez à la conventionnelle foire annuelle du PNE (Pacific National Exhibition), la fête durera deux semaines, vers la fin de l’été, dans le décor à la fois sauvage et industriel de cette crique située dans la péninsule de Burrard, à l’ombre du pont Second Narrows.
C’est cet événement qu’a couvert Bruce Stewart à l’époque.
Photographe, peintre et illustrateur de livres médicaux, ce Canadien originaire de Victoria avait fait ses premiers pas dans la photo en Californie durant les années 60, fasciné par le reportage sur les festivals et les événements culturels qui, durant ces années peace and love sont en vogue sur la Côte Ouest. A l’époque, ce projet fut pour lui comme un coup de coeur, une manière de préserver pour la postérité, au travers de la photographie, un aspect souvent méconnu de la vitalité de la contre-culture à Vancouver durant ces années de braise. Une amitié avec un autre célèbre photographe de la ville, Fred Herzog, va encore affirmer sa passion et aiguiser son regard pour ces petites choses et ces moments passagers de la vie de tous les jours. « Durant des années, je fus très influencé par ma relation avec Herzog, par nos conversations sur l’histoire, la société et la politique, sans oublier nos randonnées photographiques de fin de semaine », confie-t-il.
Si un intérêt commun pour l’observation au scalpel de ces petits instants de vie au quotidien unit les deux artistes, leur vision s’exprime toutefois d’une manière fort différente. Alors que l’œuvre de Herzog s’attarde sur des couleurs sourdes et saturées, les images de Bruce Stewart baignent dans un environnement fait de lumière naturelle, filtré dans un noir et blanc granuleux et sans ombres. Grâce à la technologie digitale d’aujourd’hui, les négatifs, souvent abîmés par le temps, reprennent vie dans une exposition inédite d’une cinquantaine de photos savamment sélectionnées par le conservateur Bill Jeffries.
Liberté, égalité, sexualité
Quatre décennies plus tard, cette vision de la société de Vancouver force un second regard sur notre évolution commune. Ce qui frappe d’abord dans ce reportage photographique, c’est l’expression de la nudité… pourtant dénuée de tout voyeurisme. « C’était une autre époque », explique l’artiste, « un bref instant d’optimisme, illusoire peut-être, mais où la nudité et la libération sexuelle devenaient un acte de protestation civile contre les politiques du moment, un acte commun de revendication pour une société alternative et durable. Au-delà des clichés du retour aux sources et du dépouillement, cet événement proposait, sans pourtant offrir de solution, un nouveau mode de vie et de valeurs communautaires, face à la croissance industrielle et l’implacable montée du développement urbain à Vancouver dont on évalue aujourd’hui les conséquences. »
Loin de toute mélancolie, l’exposition Dollarton Pleasure Faire de Bruce Stewart enrichit notre connaissance de notre histoire urbaine commune et initie une nouvelle conversation sur l’activisme, le désir d’évasion, la résistance sociale et la possibilité de créer une société autonome, écologique et durable pour un futur qui déjà cogne à la porte… À voir absolument !
Dollarton Pleasure Faire
Du 7 juin au 3 août
Du mercredi au dimanche de 12h à 17h
Presentation House Gallery
333 avenue Chesterfield,
North Vancouver
Aussi en exposition:
Soviet hippies, the psychedelic underground of 70’s Estonia et
A thousand quarrels de Liz Magor