Rappelez-vous les manchettes de juin 2013 : les Égyptiens, les Turcs et les Brésiliens sont massivement descendus dans la rue pour protester à qui mieux mieux, déployant leur colère sur les unes de la planète. Au même moment, dans l’indifférence générale cette fois, la société civile est brusquement sortie de ses gonds en Bulgarie, petit pays au sud-est de l’Europe. Pendant des mois, les Bulgares ont manifesté par milliers, armés de crécelles, de pancartes aux slogans truculents et d’un ras-le-bol général. Parmi eux, sifflet au bec et poussette à bout de bras, se trouvait Linda Petkova (née McKenzie) de Courtenay, sur l’île de Vancouver. Du brassage d’idées opéré sur le terrain est née une plateforme citoyenne, MoveBG, dans laquelle Linda a aussi choisi de s’engager. « Nous cherchons à orienter la Bulgarie dans un sens positif, à développer les idées en politiques. »
Si Linda en est venue à tant s’intéresser au sort de cette nation des Balkans, c’est que son destin s’est orienté peu à peu vers l’Est pendant ses études en économie à l’Université de la Colombie-Britannique, où elle a fait, en 1998, la connaissance d’un étudiant d’origine bulgare, Kiril Petkov. Alors que le jeune couple avait mis le cap sur Boston, où Kiril devait séjourner le temps d’un MBA à Harvard, celui-ci s’est vu offrir en 2007 le poste de directeur général de la Bulgarian Development Company à Sofia, en Bulgarie. « Je connaissais déjà le pays, et nous y avions des amis et de la famille, raconte Linda. J’avais hâte d’en apprendre davantage sur la langue et la culture ; le passage s’est donc fait naturellement. »
La Britanno-Colombienne a consacré ses premières années en Bulgarie à l’éducation de leurs trois filles. Sous ses airs sereins, la société bulgare couvait alors une frustration résignée, engourdie qu’elle était par deux décennies de pénible transition postcommuniste. Moins durement frappée par la récession mondiale que certains de ses voisins, la Bulgarie n’allait toutefois pas résister longtemps aux retombées de la crise et à la contagion du mouvement « Occupy » : en mars 2013, une première vague de manifestations contre l’austérité s’est soldée par la démission du gouvernement. Puis, dès juin, une seconde vague, immense celle-là, a agité le pays pendant des mois.
Entre deux manifestations, un petit groupe d’amis et de connaissances partageant les mêmes vues a eu l’idée de créer MoveBG. Ayant troqué le sifflet pour la tablette et la rue pour le bureau, le collectif mobilise maintenant une communauté d’experts et de citoyens autour des principes de développement démocratique, de transparence et de responsabilisation. L’éducation et le pluralisme médiatique figurent parmi leurs préoccupations, mais, étant donné la pauvreté qui afflige les Bulgares (dont le salaire moyen est le plus bas de l’Union européenne), la prospérité économique est aussi un de leurs points de mire. « L’expertise en économie est essentielle, soutient Linda ; la société ne peut se transformer sans qu’un véritable progrès économique s’opère. »
Avec d’autres membres de MoveBG ferrés en économie, Linda organise discussions et débats sur les forces et faiblesses du pays en fait de capacité concurrentielle ; son équipe espère aussi aider certaines grappes industrielles à atteindre leur plein potentiel sur le plan de la compétitivité et de l’exportation. Linda constate que le fait d’être expatriée l’aide peut-être à juger plus objectivement de ce qui distingue la Bulgarie. « Son potentiel d’exportation concerne certains secteurs très précis ; quelqu’un de l’extérieur voit plus clairement ce qui peut intéresser la communauté internationale. »
Linda revient régulièrement sur la côte Ouest, où sa famille demeure toujours, mais sent que son port d’attache s’est déplacé vers les Balkans. « En Colombie-Britannique, je ferais sans doute de la modélisation financière pour une banque ou une entreprise, dit-elle. En Bulgarie, je mets ces outils à profit pour participer au développement de la société civile. La Bulgarie vit une évolution stimulante et, au sein de MoveBG, j’ai l’occasion de contribuer à cette transformation. »
Josée Malenfant a été rédactrice en chef du journal La Source à ses débuts, de février à août 2000. Josée vit en Bulgarie depuis 2007, d’où elle rédige et traduit pour des publications et entreprises canadiennes et européennes.