Le recours aux drones pour couvrir les scènes inédites liées à la pandémie a marqué les esprits. Pour le réalisateur, monteur et auteur de cinéma français Maxime Martinot, elles sont aussi le catalyseur de son dernier court métrage expérimental Les antilopes, présenté au festival Hot docs, accessible en ligne partout au Canada du 29 avril au 9 mai.
Au printemps 2020, lors du premier confinement en France, des images diffusées publiquement attestaient du recours aux drones par la police nationale. Le ministère de l’Intérieur avait expliqué la méthode comme un moyen de vérifier le respect des mesures sanitaires et d’inviter les Français à rester chez eux. Ces images créèrent un évènement et relancèrent le débat sur le flou juridique concernant les mesures de surveillance par drone et la question inhérente des libertés individuelles. Cette pomme de discorde a fait remonter chez Maxime Martinot un projet de longue date, jusque-là mis en veille.
Une idée qui resurgit
Les premières images du court métrage – des antilopes détalant sur une immense étendue déserte – pourraient présager un documentaire animalier, thèse soutenue par le titre, Les antilopes. Dans les passages suivants, l’accélération du rythme et de la musique pourraient faire penser qu’il s’agit d’un plaidoyer contre le braconnage ou la chasse. Il n’en est rien. Dans son premier long métrage en 2018, Les Trois contes de Borges, Maxime Martinot illustrait la mise en péril du rapport au temps, à l’image, au langage. C’est dans ce même esprit qu’il tend à souligner ici la menace posée par la surveillance globale de nos actes quotidiens.
À l’origine du présent court métrage, il y a un texte : Les yeux verts, de Marguerite Duras, issu des Cahiers du cinéma de juin 1980. Ce recueil décrit une légende urbaine, un évènement qui a amené un jour et soudainement, des centaines d’antilopes au suicide collectif. Cette sédition l’a profondément marquée. « Cela a fait écho avec la colère que je ressentais à l’époque, en lien avec l’état du monde dans lequel nous nous trouvons. Le besoin d’en faire un film s’est rapidement manifesté », raconte le cinéaste.
Il commence donc ses recherches pour la mise en images de ce texte qu’il dit trouver « beau par son aspect sec, mystérieux, et très précis dans sa façon de narrer une légende (ainsi que) le mystère que formule ce conte ». Il tombe alors sur des vidéos YouTube qui montrent précisément des hordes d’antilopes courir les plaines, tournées par des drones. « De vidéo en vidéo, une pratique généralisée m’a sauté aux yeux. Une nouvelle colère m’a animé. Comment vivre lorsque l’on est observé, pourchassé ? Comment peut-on résister au sentiment mortuaire de danger qui flotte littéralement au-dessus de vous ? », partage le cinéaste.
Cela provoque une autre analogie, entre le texte, les images et son état de conscience, par la vue des antilopes, il raconte avoir vu une réponse au mystère conté par Marguerite Duras : « Les antilopes ont choisi l’autodestruction plutôt que l’obsession sans fin de l’homme à détruire ».
Puis la vie a mis de côté ce projet, jusqu’à ce mois d’avril 2020, période de « surenchère sécuritaire » comme il la décrit. Les images des drones de la police française ont fait remonter chez lui ce texte décrivant cet acte désespéré rassemblant plusieurs membres d’une même espèce, les poussant vers un geste simultané, quoique désordonné. « L’écho avec les images de drones prenant en chasse les antilopes, m’a donné l’envie urgente de reprendre le film, en faisant un ciné-tract court, un peu brut et brutal », avoue le cinéaste.
Un bond dans le temps
On a souvent cité le roman 1984 de George Orwell comme prophétique dans le contexte de la COVID-19. Il pourrait en être de même pour cette œuvre de Marguerite Duras au temps de la surveillance globale qui se généralise, aidée par les mesures sanitaires actuelles.
Dans ce court métrage de huit minutes, le réalisateur a choisi une récitation de l’ouvrage illustrée par des images pré-existantes. Les séquences sont longues. La majorité des plans sont larges et aériens, à l’exception de quelques-uns, où c’est l’animal qui l’est : il saute au-dessus des drones posés au sol, camouflés. Tout le temps, l’objectif leur colle à la peau et les bêtes sont inexorablement rattrapées. La pixellisation des images fait parfois penser à un jeu vidéo, notamment grâce à la bande sonore, mais le caractère réel de la situation reste bien présent et le spectateur angoisse et fatigue avec ces reines de vitesse et pour elles.
Dès lors que les premières tombent sous le poids des balles, le spectateur est amené à un parallèle. Avec le texte d’abord : « Le film et le lien avec le texte sont d’ordre métaphorique, et visent à poursuivre et complexifier le conte au présent », ainsi voit-il ce montage.
Puis quelques minutes plus tard dans le film, impossible de ne pas y voir un pont avec le présent. « Les antilopes pose effectivement la question de l’identification, et de ses limites. Dans le film, on peut tout autant être les antilopes que ceux qui les regardent. Car il ne faut pas oublier que ces images, pour la plupart filmées par des drones commandés par des humains, ont un pouvoir de fascination dont on est aussi les victimes », explique Maxime Martinot.
Et maintenant où va-t-on ?
Les dernières images pointent vers la prise de position du cinéaste sur cette loi de « sécurité globale » et tout ce qu’elle engendre. Et il ne s’en cache pas. « Il y a une question écologique derrière le film, elle est dans l’essence même des images mécanisées que l’on regarde. Elles finissent de déposséder l’humain de son caractère « animal », de l’inscrire au-dessus, et non au sein du vivant. C’est un point de rupture que je trouve essentiel à exposer, et j’espère qu’il sera compris de façon sensible par le spectateur », conclut Maxime Martinot.
Les antilopes, à sprinter voir sur son ordinateur du 19 avril au 9 mai. Programme complet et passe sur le site du festival : www.hotdocs.ca