« Au fil des ans, j’ai remarqué que l’art de la mosaïque, au cours de sa longue histoire, a surtout servi à documenter les réalisations masculines. Les représentations de femmes en mosaïque étaient limitées au domaine des figures saintes, des divinités mythologiques ou des figures allégoriques qui n’incarnent que des vertus féminines spécifiques ou des concepts ésotériques. » C’est sur ces mots que Lilian Broca, artiste mosaïste, explique son intérêt pour la représentation des grandes femmes de l’histoire sur ces petits fragments colorés qui célèbrent les héros et les victoires des puissants.
Exposée jusqu’au 15 août 2022 au Centre culturel italien de Vancouver (ICC), la série Mary Magdalene Resurrected redonne toute sa gloire à Marie Madeleine, disciple de Jésus Christ injustement transformée par le clergé en figure de débauche pour servir d’exemple de repentance.
Représentation
Tout au long de sa carrière artistique, Lilian Broca a exploré les disparités dans les dynamiques de pouvoir masculines et féminines et c’est ce manque de représentation qui l’a poussée vers la mosaïque dans la seconde moitié de sa carrière, laissant derrière elle la peinture et le dessin figuratifs auxquels elle s’était consacrée auparavant.
En 2002, l’artiste se voit donner l’occasion de présenter la reine Esther et son histoire sur de grandes mosaïques en verre. Sans formation préalable dans cette nouvelle discipline, Lilian Broca achète le matériel nécessaire à cet imposant projet et se plonge directement dans l’art de la mosaïque. Ce premier projet, composé de dix mosaïques très grand format, a requis sept ans de travail solitaire pendant lesquels Lilian Broca a parfait sa technique et son savoir-faire. « Depuis lors, j’ai continué à travailler dans ce nouveau médium en réalisant deux nouvelles séries de mosaïques, l’une sur la Judith biblique et la présente sur Marie-Madeleine », raconte l’artiste.
Riche collaboration
Acceptant des projets de plus en plus ambitieux, Lilian Broca s’est associée au studio mont-réalais Mosaika pour réaliser ses œuvres plus rapidement. La série sur Marie Madeleine exposée au Centre culturel italien de Vancouver est le fruit de cette riche collaboration entre l’artiste et des talents mosaïstes de Montréal. Il a fallu six ans de travail minutieux pour terminer ces impressionnantes mosaïques de plus de six pieds de haut, le projet ayant été retardé par la pandémie. L’artiste a commencé par des recherches approfondies sur Marie Madeleine et l’histoire de sa représentation. « Malgré les efforts considérables déployés pour la marginaliser et minimiser son importance, Marie-Madeleine a atteint l’immortalité grâce à son courage et à sa loyauté envers Yeshua ben Yosef, un homme charismatique et doux qui pensait que les femmes étaient dignes d’attention et de respect à une époque où cela n’était même pas envisagé », raconte la mosaïste avant d’ajouter : « Pendant vingt siècles, Yeshua, ou Jésus, a été à la fois un pont et une barrière entre les religions juive et chrétienne. Bien que je trouve Jésus tout aussi fascinant, cet ouvrage ne porte pas sur lui. Il est strictement consacré à sa disciple favorite et bien-aimée, Marie la Magdaléenne. »
Monumentales
Et l’érudition que Broca possède sur ces histoires volontairement déformées se retrouve partout dans ses œuvres, dans les détails dorés de ces œuvres monumentales, tout comme dans les écrits sacrés apparaissant sur les mosaïques. Ces belles lettres racontant chaque scène n’ont pas été laissées au hasard. « J’ai décidé d’utiliser sept différents textes écrits dans des langues parlées à l’époque de Marie-Madeleine », explique Lilian Broca, avant de préciser : « Il y en a un en hébreu, un en araméen, un en grec ancien, un en amharique, un en latin, un en arménien et un en copte. Ils symbolisent les nombreuses versions de l’histoire ancienne d’une femme très malmenée que l’histoire n’a pas traitée avec bonté. » Et en associant chaque texte à une de ses mosaïques, l’artiste répare le tort qui a été causé à la fervente disciple dans autant de versions, autant d’écrits.
« Qu’il s’agisse des œuvres d’art représentant Lilith ou des mosaïques de Marie-Madeleine, j’espère que les spectateurs réfléchiront, réexamineront et réévalueront les histoires écrites par des hommes qui se considéraient supérieurs aux femmes et n’acceptaient pas l’égalité des sexes sous quelque forme que ce soit », conclut la mosaïste.
Par ses œuvres, représentant les grandes femmes des temps passés, Lilian Broca rappelle le rôle stratégique de celles-ci dans l’histoire et l’importance de les célébrer lors de fêtes religieuses, mais aussi dans les arts et les livres d’histoire.
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