Véhiculant souvent un préjugé, l’accent est considéré comme un marqueur social. Marie-Ève Bouchard de l’Université de Colombie-Britannique (UBC) et Monica Tang de l’Université Simon Fraser se penchent sur l’impact d’un accent.
« On a tous un accent ». Ce constat de Marie-Ève Bouchard, professeure assistante en sociolinguistique au département des études françaises, hispaniques et italiennes à UBC, est partagé par Daniel Viragh, artiste installé à Vancouver. Ce réfugié hongrois ayant vécu à Montréal entre trois langues confie avoir un accent dans chacune des langues qu’il parle : « Quand je parle français, on me demande si je viens de Suisse ou de Belgique alors que j’ai longtemps vécu à Montréal. Parfois, les Québécois doutent même que j’aie vécu dans la Belle Province ».
Un accent se définit par rapport à une norme. Loin d’être neutre, la langue dite standard provient d’un groupe. « Dans l’histoire du français, on dit que le standard vient de Paris, mais à Paris, combien y a-t-il d’accents différents ? Au Québec, ça va être la variété parlée à Montréal qui va être considérée comme plus standard parce que c’est l’accent qu’on entend le plus dans les médias. Mais cette variété a appartenu à un groupe à un moment. C’est simplement qu’on a décidé de parler cette variété-là, qu’on a décidé de l’ériger en modèle », explique l’universitaire de UBC.
Un fil à la patte ?
Pour Marie-Ève Bouchard, la catégorisation, bien que discutable, reste un réflexe humain. « On n’est pas toujours conscient mais on entend la classe sociale, le niveau d’éducation, l’origine géographique, l’âge de la personne. Et malheureusement, on discrimine avec ces informations-là. Beaucoup d’études en linguistique ont montré à quel point on discrimine, dans les ressources humaines. Dès les premières secondes, on décide si on va embaucher le candidat ou pas. Dans la communication ou l’éducation par exemple, on va vouloir que le candidat parle une langue standard », déplore-t-elle.
Monica Tang, enseignante en immersion française au Bureau des affaires francophones et francophiles de l’Université Simon Fraser, travaille avec des enseignants de français en Colombie-Britannique. « Dans ce milieu minoritaire, l’accent est omniprésent parce que nous avons chacun notre façon de parler. Dans mon milieu, l’accent peut avoir un gros impact sur la confiance. Je travaille beaucoup avec les enseignants pour les sensibiliser à nos réactions à certains accents. J’ai grandi à Montréal, j’ai un accent du Québec. J’ai des collègues qui ont un accent de francisation. Pour beaucoup d’entre eux, un accent, c’est une façon par laquelle ils se sentent jugés, catégorisés dans un groupe linguistique à leurs yeux, inférieur. Quand ils s’entendent parler, ils se disent qu’ils n’aiment pas leur accent parce que ça signifie qu’ils seraient moins bons profs de français », explique Monica Tang.
Et quid du bon ami ou la bonne amie qui veut bien faire en corrigeant un accent ? L’expérience peut se révéler désastreuse pour la personne corrigée, selon l’enseignante. « C’est culturel. Quand des gens nous corrigent, ils veulent juste nous rendre service. On ne veut plus jamais ouvrir la bouche, ni prendre le risque de parler en français. Pour moi, c’est pour ça que c’est sensible, parce qu’un petit geste peut détruire la confiance », explique-t-elle.
Monica Tang anime beaucoup d’ateliers dans le milieu de l’éducation où l’on évoque la fameuse insécurité linguistique. « On a constaté que ce terme avait une connotation un peu négative. Pour moi, ce n’est pas une responsabilité individuelle mais une dynamique sociale d’un groupe. Je préfère parler de légitimité linguistique des gens qui travaillent dans un milieu. La métaphore que j’utilise parfois lorsqu’on parle d’insécurité linguistique, c’est de voir le bouton que j’ai sur le nez. Pour moi, ce n’est pas que je ne suis pas incertaine mais je ne veux pas qu’on se concentre uniquement sur la chose qui m’angoisse », explique-t-elle.
Avant de surmonter cette peur, Monica Tang propose de se voir tout d’abord comme des contributeurs et contributrices légitimes à l’éducation en français. « Quand on voit quelqu’un qui a appris le français à l’école, c’est un excellent modèle pour nos jeunes qui apprennent le français parce qu’on est passé par les mêmes angoisses. La façon de contrer cette insécurité, ce n’est pas de juste dire « n’ayez pas peur » mais plutôt de parler de pédagogie, de relation qu’on développe avec les jeunes, des victoires et des succès qu’on a », précise-t-elle.
Un accent flexible
Certaines personnes sont plus flexibles que d’autres par rapport à leur accent. « On s’adapte toujours à son interlocuteur. Par exemple, je suis de Gaspésie et quand j’y retourne, après quelques jours et quelques semaines, je vais parler un peu plus comme les personnes là-bas. Puis, si je vais en France et que je ne veux pas avoir de commentaires sur mon accent, mon français va s’adapter pour ressembler un peu plus à celui de mon entourage. On est capables de changer la façon dont on parle comme on est capables de parler différemment entre amis, en train de faire une présentation. On a tous cette capacité à changer notre accent et notre façon de parler », explique Marie-Ève Bouchard.
Trilingue, lorsqu’il parle anglais, Daniel Viragh n’a pas un mais des accents. « Quand j’habitais en Californie, on trouvait que j’avais un accent canadien et au Canada, on trouvait que j’avais pris un accent californien. En hongrois, on trouve que j’ai un accent anglais. Mais franchement, ce n’est pas quelque chose qui m’affecte », explique l’artiste.
Si les accents peuvent se perdre, il est aussi possible d’assister à la naissance d’un nouvel accent, comme en Colombie-Britannique. « La communauté francophone en Colombie-Britannique est vraiment intéressante parce que c’est une francophonie qui se nourrit beaucoup de l’immigration donc c’est une francophonie avec des accents différents. Il y a un accent franco-colombien qui est en train de se développer à travers les écoles francophones. La communauté francophone est encore récente. On n’est pas encore capable de vraiment dire ce qu’est cet accent quand on vient de l’extérieur mais je le reconnais. Je pense que d’ici trois à quatre générations, la communauté francophone de la Colombie-Britannique continue de grandir et elle va devenir de plus en plus claire et cet accent sera de plus en plus défini », précise Marie-Ève Bouchard.
Montrer la richesse de la multitude d’accents
« La mission qu’on se donne, en contexte minoritaire, c’est de présenter à nos élèves une multitude d’accents. On est bien placé pour leur montrer beaucoup d’exemples puis à la fois, et quand on montre les accents, ça valide leur accent », partage Monica Tang, qui se demande si l’accent est perçu de la même façon dans d’autres langues que le français.
Marie-Ève Bouchard a créé un atlas pour répertorier la multitude d’accents au Canada. Cette volonté est venue après un choc. « Quand je suis arrivée à UBC, j’avais des étudiants d’un peu partout, d’immersion française et quand je leur parle des différentes variétés de français au Canada, j’ai été surprise de voir à quel point le français de France était considéré comme étant meilleur. En partie parce qu’ils ont eu des enseignants français mais au point où des parents qui envoient dans les cours de français, demandant quel accent ils enseignent. Ils veulent un accent de la France. Ça m’a choquée quand je suis arrivée ici. Je me suis dit que c’est comme si en France, on me demandait d’enseigner le français du Québec », s’étonne Marie-Ève Bouchard.
L’universitaire veut que les apprenants de français aient accès aux différents accents, qu’ils voient ce qui existe. « Dans le système scolaire, ils sont encore très limités au français de la France et au français du Québec, comme s’il n’y avait qu’un seul type d’accent dans ces deux endroits. J’ai créé cet atlas pour qu’il soit utilisé par les enseignants, que ce soit dans le système scolaire francophone ou avec les apprenants de français, pour que les apprenants entendent ces différents accents. D’un point de vue linguistique, tous les accents se valent. Il n’y en a pas un meilleur qu’un autre », conclut Marie-Ève Bouchard.
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