La mort prend vie autour d’un café

En juillet dernier, au lieu de suivre une chimiothérapie, Norma, une américaine de 90 ans, prend la route pour plusieurs mois afin de traverser les États-Unis en famille. Voilà une histoire à partager autour d’un café, en particulier un café sur la mort, ou Death Café. Depuis 2011, ce concept a déjà fleuri dans 23 pays, et les Vancouvérois, eux aussi, explorent le sujet tabou des sociétés occidentales : la mort.

Quoi de plus incongru que d’entamer une conversation sur la mort à un 50e anniversaire avec son voisin de table. C’est ainsi qu’Anneke Rees et Tom Esakin se rencontrent et décident d’organiser des cafés sur la mort à Vancouver. Ils partagent leur expérience, qui n’a rien de morbide.

Un café sur la mort c’est quoi ?

Dans les années 90, Bernard Crettaz, sociologue et ethnologue suisse, invente le concept de « cafés sur la mort » afin de mettre la mort au cœur de la discussion. Une conversation ouverte autour d’un café et de quelques gâteaux pour rendre l’atmosphère amicale, sans jugement, et non macabre. En 2011, dans le salon de ses parents, le Britannique Jon Underwood convie quelques personnes à un café sur la mort, le premier d’une longue série.
Anneke le définit comme « une organisation à but non-lucratif avec des principes de base à suivre, mais c’est surtout un endroit où les gens discutent et partagent leurs histoires, nous sommes là pour faciliter les choses ». Ce n’est en aucun cas une thérapie, bien qu’il y ait quelques effets, tant le sujet n’est pas aisé.

Anneke et Tom portent le même regard. Entre institutionnalisation de la mort par les services de santé, démographie vieillissante et débat sur la mort médicalement assistée, ils savent que « c’est difficile d’en discuter. Mais les gens deviennent de plus en plus susceptibles d’en parler, et pensent à la qualité plus qu’à la quantité des années vécues ». La mort ne se déroule plus à la maison, elle reste en retrait désormais. Avec des participants de tout âge, l’intérêt pour le sujet n’est plus à démontrer, entre besoin de confrontation, angoisse et information.

Puisque mourir, c’est surtout vivre

« Beaucoup de gens pensent qu’ils ne vont jamais mourir et refusent donc d’en parler », indique Anneke, souriante. Même si la mort est inévitable, il est pourtant préférable de l’intégrer à la vie et d’y penser. Il n’est pas question d’organiser ses propres funérailles, mais plutôt d’apaiser son environnement, ses peurs, ses relations avec son entourage. Des interrogations sur l’aspect spirituel, légal, matériel ou encore émotionnel se mêlent. Tom explique l’importance d’en parler, ne serait-ce que, par exemple, pour connaître les procédures de réanimation autorisées ou non, pour savoir comment organiser une cérémonie funéraire à domicile, pour remplir des documents d’assurance, pour éviter de laisser des bagages trop lourds aux vivants et partir en paix. Il observe : « Quand on accompagne la mort d’une personne, on comprend qu’on meurt comme on vit, et la discussion autour de la mort est bénéfique pour les deux parties. » Inciter à aborder le sujet pour pouvoir mieux vivre. Des conversations qui aideront au deuil, bien qu’elles puissent être douloureuses et crispantes, ou parfois drôles.

Anneke Rees et Tom Esakin à la librairie Banyen Books & Sound après la tenue du café sur la mort qu’ils ont organise. | Photo par Noëlie Vannier

Anneke Rees et Tom Esakin à la librairie Banyen Books & Sound après la tenue du café sur la mort qu’ils ont organise. | Photo par Noëlie Vannier

Se questionner sur la mort, c’est donc changer son regard sur la vie. Pour Tom, ces conversations font considérer « la vie comme un cadeau, et la mort devient une amie. » Puisque la mort est le destin de tous, et que personne n’en a encore l’expérience directe car nous sommes encore tous vivants, pourquoi ne pas l’intégrer, et savoir quoi faire de sa vie. Parler de la mort, c’est véritablement savoir comment vivre. C’est cette part de la vie incontrôlable qui fait qu’il devient essentiel de se concentrer sur ce qui est possible. La mort fait partie de la vie !

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Photo par Noëlie Vannier

Plus de 1 000 cafés sur la mort ont vu le jour depuis 2011. Et Tom de conclure par cette question : « Si vous saviez que vous alliez mourir à la fin de l’année, vivriez vous votre vie différemment ? »

www.deathcafe.com
www.facebook.com/DeathCafeVancouver