Un double obstacle pour les Noirs francophones

Photo par Alex Green

Depuis l’an dernier, il y a eu une prise de conscience grandissante quant au racisme anti-noir dans notre société. D’après un sondage réalisé par IPSOS, 60 pour cent des Canadiens en 2020 pensent que le racisme est un problème sérieux au Canada, contre seulement 47 pour cent en 2019. Cette sensibilisation accrue est fondamentale.

Ceci dit, le racisme subi par les personnes noires dans notre société prend souvent des formes sournoises, perverses. Souvent il s’agit de préjugés et de stéréotypes inconscients. Des gestes irréfléchis qu’on pose, des regards inconscients auxquels on ne pense même pas, des idées préconçues dont on ne parle pas mais qui se manifestent parfois à notre insu. Ces formes subtiles de préjudice peuvent être vécues par les personnes noires partout, et à l’emploi sans aucune exception.

Selon Statistiques Canada, en 2016, à Vancouver, le taux de chômage des hommes noirs se situait à 6,7 pour cent comparativement à 4,5 pour cent chez leurs homologues. De plus, leur rémunération était inférieure de près de 12 000 $ à celle des hommes dans le reste de la population. Pour les femmes noires, les taux s’élèvent à 8,1 pour cent contre 5,2 pour cent pour les autres femmes. Toujours selon Statistiques Canada « quels que soient leur nationalité et le temps qu’elles ont passé au Canada, les personnes présentant des traits africains vivent des difficultés économiques similaires ».

Pourquoi un tel écart dans les taux d’emploi et les taux de chômage ? Et qu’en est-il des personnes noires dont l’anglais n’est pas la première langue, dans le marché du travail dans le Grand Vancouver ?

« La langue malmenée »

« C’est la première fois de ma vie que je me sens vraiment lésé en tant que francophone. Les francophones sont un peu comme des gens de seconde classe au Canada. Je viens du Cameroun, et c’est un pays bilingue, où le français et l’anglais se valent », confie Basile Tené, qui était professeur d’université au Cameroun avant son arrivée au Canada. Après avoir vécu un an à Montréal, il décide de déménager à Vancouver en 2015 pour des raisons climatiques. Basile Tené est loin d’être le seul à prendre une décision pareille.

Lama Mugabo, lui, d’origine rwandaise et co-fondateur du conseil d’administration de Hogan’s Alley Society, a des amis francophones qui habitent sur la côte Est. « Ils regardent la télévision et le climat a l’air très attirant à Vancouver. Ils regardent, c’est ensoleillé, les gens n’ont pas beaucoup de manteaux. Ils sont confortables. Ils se disent pourquoi pas. Moi je vais essayer d’aller à Vancouver », explique-t-il en souriant. « Ils arrivent ici. Mais quand tu ne parles pas l’anglais, c’est un problème. Parce que tu ne peux pas trouver un logement. Tu ne peux pas trouver un job. Et tu tournes. Alors […] oui il fait beau mais ils n’arrivent pas trouver un emploi, [alors] ils quittent. Et souvent, ils ne retournent pas au Québec [non plus], mais ils vont en Alberta – à Edmonton ou à Fort McMurray.

Déjà, c’est quoi être un francophone ?

Être une minorité raciale dans une minorité linguistique francophone dans l’Ouest canadien. | Photo par Sora Shimazak

« On est surpris ici que je parle le français. [Alors que] le plus grand pays francophone du monde c’est la République Démocratique du Congo, ce n’est pas la France. La plus grande ville francophone au monde c’est Kinshasa, sa capitale », rappelle bien Basile Tené. « Ici on définit un francophone comme celui qui a pour langue maternelle le français, ça veut dire qu’on ne considère pas un Africain comme un francophone. D’après cette définition [en vigueur au Canada], un francophone se limiterait aux Québécois et aux Français [de la France]. Ceux qui ont la peau noire sont considérés comme des francophiles puisqu’un Sénégalais parle d’abord le wolof, un Congolais parle d’abord le lingala. [Mais] moi, le français c’est ma première langue. Mais j’ai encore à prouver que je suis francophone, j’ai encore à prouver que j’ai le niveau », divulgue-t-il doucement mais avec de la frustration, lui qui a fait ses études de deuxième cycle à Besançon en France.

Au quotidien, les formes de rejet subies par les personnes noires découlent souvent des biais inconscients construits petit à petit dans le cadre de socialisation. Mais aussi, il y a le biais d’affinité qui peut s’avérer, lui, tout autant dangereux dans les processus de recrutement. Basile Tené raconte l’expérience d’une enseignante noire qui travaille pour une école de langue ici à Vancouver. « Lorsqu’elle est arrivée chez la famille pour donner le cours, la famille lui a dit qu’elle s’est trompée d’adresse. Ils ont appelé l’école, [laquelle] a confirmé que « oui elle est bien qualifiée, elle va vous enseigner le français ». Ils étaient tellement surpris qu’ils ont demandé à la dame de repasser parce qu’ils ne supportaient pas qu’une dame noire enseigne le français. Ils doivent se demander où est ce qu’elle aurait pu apprendre le français pour pouvoir l’enseigner ? ».

Processus d’embauche et surqualification

Toutes les données démontrent que les personnes noires se trouvent dans une situation désavantageuse sur le marché du travail, avec un taux de chômage plus élevé que chez leurs homologues blancs. Par contre, ce que les statistiques peinent parfois à démontrer, c’est le niveau d’emploi que les personnes noires arrivent à obtenir, à savoir si l’emploi est à la hauteur de leurs diplômes académiques, de leurs expériences professionnelles et si elles sont rémunérées à juste titre.

« La reconnaissance des acquis n’est pas valable ici, particulièrement pour les Noirs, parce qu’on ne pense même pas qu’ils ont des écoles en Afrique dignes de pouvoir les former », certifie Basil Tené qui occupe un poste d’assistant pédagogique spécialisé dans les écoles francophones à Vancouver.

Efforts d’équité et inclusion dans le milieu de travail

« Non seulement on n’est pas [équitablement] embauchés, mais quand on est embauchés, on n’est pas soutenus », partage Lama Mugabo.

Il estime qu’en Colombie-Britannique, on a besoin de commencer à « créer des conversations pour se connaître, pour démystifier les choses. On vit ensemble mais on ne se connait pas assez ». Il ajoute « Les Noirs sont divers. Il y a des Noirs qui viennent de l’Europe, ceux qui viennent du continent [africain], d’autres des Caraïbes, d’autres de l’Amérique du Sud, des États-Unis, etc. [Enfin] on n’est pas monolithiques ». Justement, ce n’est que le racisme qui supprime les singularités et ne se focalise que sur la pigmentation d’une peau.

Enfin, Ingrid Broussillon, d’origine antillaise et fondatrice des Griottes Polyglottes à Vancouver signale qu’« il faut aussi mettre la lumière sur les Noirs qui réussissent parce qu’ [ils existent]. En tant que Blanc, on ne se pose pas la question, parce qu’on voit tout le temps des images de personnes blanches qui réussissent, alors ça devient normal mais quand tu vois un Asiatique, un Noir qui réussit, ça change la vision. Même les personnes noires qui subissent du racisme, ils ne cherchent pas la pitié ». Mais du soutien réel. Du changement systémique. « On se fatigue de la pitié, quand la pitié est inutile » (Albert Camus).

Le Centre canadien pour la diversité et l’inclusion (CCDI)délivre, le 27 avril à 10 h, un webinaire intitulé Répondre aux besoins du mouvement Black Lives Matter au travail. Le webinaire discutera des façons appropriées d’entamer des conversations et de soutenir réellement des employés et collègues PANDC.

Pour plus d’information visitez : www.ccdi.ca/fr-events-calendar/webinaire-du-ccdi-répondre-aux-besoins-du-mouvement-black-lives-matter-au-travail