le Jeudi 6 février 2025
le Lundi 20 janvier 2025 17:10 | mis à jour le 22 janvier 2025 4:26 Chronique

Les emplois verts en question.

Les emplois verts en question.
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De plus en plus d’emplois verts.

Les emplois verts canadiens auraient le vent en poupe ! C’est en tout cas ce que l’on peut constater à la lecture de l’analyse d’Eco Canada qui dénombre près de 250,000 offres d’emplois en environnement en 2023, soit 12% du total des offres. Il faudrait s’en féliciter à l’heure où la crise environnementale et en particulier la crise climatique font des ravages, comme en témoignent les récents incendies ayant frappé Los Angelinos en plein hiver. Dans un monde qui flirte déjà avec le seuil des 1,5°C de réchauffement et qui décime la biodiversité à un rythme inouï, on peut souhaiter que l’effort de formation et de recrutement en emplois verts s’accélère.

Emplois verts, emplois durables, emplois en environnement sont autant d’appellations adressées a priori aux artisans d’un monde soutenable. Cependant, à y regarder de plus près, il existe de grandes disparités de vision au sein des « emplois verts ». Une étude publiée dans la revue Interventions économiques par les chercheurs María Eugenia Longo et Stéphanie Ferreira-Bexiga (2024) définit les emplois verts comme des « emplois décents qui contribuent à la préservation ou à la restauration de l’environnement ».

Leur fonction est de permettre l’utilisation efficiente de l’énergie et des matières premières, la réduction des consommations et des gaz à effet de serre ainsi que la contribution à l’adaptation aux effets des changements climatiques et à minimiser les productions de déchets et de pollutions. Voilà qui est complet.

Au niveau fédéral, le Canada a de plus en plus recours aux termes « emplois durables ». Le Projet de Loi C-50 « Loi canadienne sur les emplois durables » considère « tout emploi qui est compatible avec la trajectoire du Canada pour atteindre la carboneutralité et un avenir climatique résilient […] ». Avec cette approche large, les termes « trajectoire » et « carboneutralité » rappellent l’idée de « transition écologique ». Le concept a le mérite de rapprocher – non sans conséquences – les enjeux environnementaux des enjeux économiques en prônant de manière explicite « qu’on peut mieux faire ». Le Plan pour les emplois durables 2023–2025 insiste sur l’avantage compétitif du Canada en matière de ressources naturelles, d’énergie et de technologies propres susceptibles de lui ouvrir des ouvertures face à des marchés mondiaux qui s’orientent de plus en plus vers la carboneutralité. L’approche canadienne des emplois durables s’inscrit dans une ambition de croissance, de compétition mondiale et d’occasions favorables.

Le monde académique pointe de longue date l’absence de consensus sur la vision de la transition écologique. Et cela se reflète sur la qualification des emplois verts. Alors que les emplois verts à la canadienne tendent largement vers une approche de type développement durable économico-centrée, il existe par ailleurs d’autres approches, encore minoritaires. Il s’agit, notamment, de celles portées par les décroissantistes ou encore les tenants de l’économie écologique. À leur sens, et pour se sortir d’affaire dans un monde qui court à sa perte, il faut désormais constater les échecs du capitalisme vert comme ceux du développement durable. Il faut inverser le paradigme et de ne considérer l’économie que comme un sous-système de l’écologie.

Dans cet ordre d’idées, les politiques relatives aux emplois verts devraient faire la part belle aux métiers de la conservation, de la restauration des écosystèmes, de l’éducation ainsi que tous les métiers de la transformation du système économique en faveur du respect des limites planétaires. Dans une telle approche qui laisserait la compétitivité et la croissance de côté, la terminologie serait impactée : on ne parlerait plus des ressources naturelles disponibles, mais plutôt d’écosystèmes protégés. Il ne serait plus permis de considérer une offre d’emploi intitulée « optimisation des procédés » pour le secteur minier comme un potentiel emploi vert. Cette approche non compétitive gagnerait cependant le match de la cohérence. De toutes façons, et comme disent les activistes avec un certain pragmatisme « il n’y aura pas de croissance sur une planète morte ».

ECO Canada, acteur tiers des politiques en emploi vert, applique une approche intersectorielle en préférant aux termes « vert » ou « durable » celui des « emplois en environnement ». Protection de l’environnement, gestion des ressources et durabilité de l’environnement (et non pas durabilité de l’économie), il y en a pour tous les candidats désireux de faire une différence. À charge pour elles et eux de regarder de près aux présupposés comme aux conséquences qu’emportent l’appellation « emploi vert ».

Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur d’EcoNova Education et Conseiller des Français de l’étranger.