
Pour la série des articles sur les emplois verts, nous avons interrogé Élisa Baudinaud, fondatrice de Carbon Wise (www.carbon-wise.ca)
Élisa est une entrepreneuse de la décarbonation. Son dada à elle n’est ni un cheval, ni une voiture électrique. C’est le bâti ! L’histoire d’Élisa, originaire d’Angers, en France, est celle d’une graine promenée par le hasard des vents, qui atterrit un beau jour à Vancouver avant de germer, de prendre racine, puis de fleurir dans le champ des possibles.
« Petite, je voulais être biologiste. J’ai toujours aimé la nature et les animaux, mais à 18 ans, il était bien trop difficile de choisir une carrière. Alors j’ai fait une école de commerce », se souvient-elle. Pendant ses études, elle raconte : « Nous avions eu un cours sur le développement durable. C’était hyper basique. On a découvert les principes de base, les ESG et comment les entreprises pouvaient se verdir. Même si je n’y ai pas appris beaucoup de choses nouvelles, j’étais la première assise devant à écouter. »
Après une première expérience canadienne dans la vente et une immigration réussie, Élisa a été recrutée dans un cabinet d’analyse énergétique du bâtiment. « Je n’avais aucune compétence spécifique autre qu’une énorme motivation. » Office Manager, Operations Manager, puis General Manager, c’est la passion qui l’a fait grandir. « Mon patron donnait des cours, et j’ai pu être formée en efficacité énergétique du bâtiment. Apprendre comment l’air et l’humidité circulent dans une maison, je trouvais ça fascinant. » Un jour, Élisa est tombée sur un concept nouveau qui a bouleversé sa vision : le carbone intrinsèque (embodied carbon).

Élisa Baudinaud, fondatrice de Carbon Wise. | Photo de Carbon Wise
Lorsque l’on construit une maison, le carbone intrinsèque désigne toutes les émissions de gaz à effet de serre libérées au cours des processus d’extraction, de transport, de construction et de démolition du bâtiment. Pour connaître l’impact carbone qui se cache derrière les carreaux de fenêtres, dans le béton des fondations, dans l’isolant des murs, il faut tout calculer. « On utilise des logiciels et des bases de données. À chaque matériau correspond une valeur carbone associée. On factorise ces valeurs, dites EPD (Environmental Product Declaration), avec les volumes de matériaux de construction. C’est comme une sorte de label nutritionnel, mais pour le bâtiment. » Sur l’ensemble du cycle de vie, une maison familiale à Vancouver peut générer entre 36 et 52 tonnes de CO₂ équivalent.
« Le problème, c’est qu’on construit mal », explique Élisa. « On utilise des matériaux qui sont destinés à réduire notre demande en énergie. Mais on oublie que ces matériaux ont eux-mêmes un impact écologique sur toute la durée de leur cycle de vie. Lorsque j’ai compris ce problème, je me suis dit qu’il fallait que je m’en occupe. »
Carbon Wise a été fondée en 2021 à Vancouver pour mesurer, améliorer, optimiser l’efficacité énergétique et l’impact carbone dans les constructions. « On est à la fois analystes énergétiques et analystes carbone. C’est complètement sensé de combiner les deux, car pour réduire l’empreinte climatique totale d’un bâtiment, il faut tenir en compte à la fois les matériaux et l’efficacité énergétique en bout de chaîne. » Avec son équipe, Élisa forme et conseille des constructeurs, architectes, développeurs, ainsi que les municipalités de la région du Grand Vancouver. Elle est aussi bénévole avec le Carbon Leadership Forum qui développe les connaissances sur le carbone intrinsèque.
Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’actuellement, à mesure qu’on tente d’augmenter l’efficacité énergétique, on augmente en parallèle le carbone intrinsèque du bâti. Et en Colombie-Britannique, on est chanceux d’avoir de l’électricité décarbonée. En conséquence, en matière d’objectifs climatiques le sujet du carbone intrinsèque est central. « Et c’est là que je me bats pour trouver le bon équilibre au niveau des matériaux. » Selon Élisa, le Canada est encore loin d’avoir embrassé les concepts clés du développement durable comme l’approche minimaliste et la sobriété. « Quand on réfléchit à un projet de maison de 600 mètres carrés, ce n’est pas de la sobriété ! », nous dit-elle, mais plutôt tout l’inverse.
Élisa est dans l’action. Elle n’aime pas les étiquettes. « Je n’aime pas beaucoup le mot militante. Je préfère l’approche scientifique à l’émotionnel. Ce qui est important dans le métier, c’est de communiquer par la preuve et par les chiffres ». Interrogée sur les qualités professionnelles qui lui ont permis de se faire une place dans le métier, elle met en avant son éthique de travail, suivie de sa capacité à avoir une vision globale. « Je pense aussi que je suis un bon exemple de la personne qui n’avait pas de formation technique et qui arrive pourtant à avoir un impact à son niveau . »
Humilité, sobriété et minimalisme pour décarboniser la construction. Voilà de quoi bâtir un avenir soutenable !
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur d’EcoNova Education et Conseiller des Français de l’étranger.