
Photo de Janis Ian Documentary
Il serait difficile de résumer en peu de mots la carrière de la chanteuse américaine Janis Ian. Une personne authentique et honnête qui, tout au long d’une brillante carrière artistique ayant débuté dans les années soixante et qui se poursuit encore aujourd’hui, cette grande dame de la musique américaine a toujours su parler pour celles et ceux qui n’avaient pas le droit de le faire. Et pourtant, ces faits ne semblent pas rendre justice à la chanteuse. Et, dire qu’elle a été nominée dix fois pour un Grammy pourrait sûrement mercantiliser son message qui, depuis plusieurs décennies, est resté personnel et empreint de réserve pour ceux qui l’écoutaient dès ses débuts et qui cherchaient à apprécier le sens profond de ses mots.
Ce film poignant et attendrissant de Varda Bar-Kar (2024, États-Unis) retrace le parcours remarquable d’une chanteuse hors du commun.
Janis Ian – née Janis Fink en 1951 à New York – avait 13 ans en 1964, quand elle a écrit et a enregistré la chanson Society’s Child (Baby I’ve Been Thinking), qui raconte l’amour d’une jeune fille blanche pour un garçon noir. C’était l’année du passage du Civil Rights Act, importante loi fédérale américaine interdisant toute forme de discrimination et de ségrégation reposant, entre autres, sur la race, la religion, la couleur et l’origine. Tout de même – jusqu’à l’intervention directe du célèbre maestro Leonard Bernstein – la chanson reste interdite, les radios refusant de la jouer vu les émeutes raciales qui font éruption durant cette période houleuse dans de nombreuses agglomérations urbaines.
Malgré cet accueil au départ négatif des médias, Janis Ian voit ses chansons reprises par d’autres artistes. Le public, quant à lui, commence à apprécier sa douce ironie, sa tristesse, sa sagesse, et surtout sa critique de tout ce qui est désuet et répressif. Elle fait partie de la génération de chanteuses et de chanteurs qui veulent à tout prix changer le monde autour d’eux. Elle se noue d’amitié avec Janis Joplin, Bob Dylan et Joan Baez.
Un peu plus tard dans sa carrière d’artiste, en 1975, Janis Ian enregistre At Seventeen, chanson qui décrit l’anxiété que ressentent celles qui ne se sentent ni belles, ni populaires. Claude François et Mireille Mathieu chanteront le numéro en français et Céline Dion rendra hommage à Janis Ian en tant qu’une de ses idoles, quand elle chantera éventuellement At Seventeen aux Grammys en 2008. Cette chanson continue encore d’être le plus grand triomphe de Janis Ian.
Et pourtant le grand succès à la hauteur des Joplin, Dylan et Baez, lui échappe. Dans les années 1980, elle se voit escroquée par son manager, violemment battue par son conjoint, et négligée par une industrie musicale qui refuse de promouvoir l’oeuvre d’une femme qui ose aimer d’autres femmes. Ce type de « comportement » étant néanmoins un peu mieux toléré chez les David Bowie et les Freddie Mercury de l’époque. Une preuve tangible, une fois de plus, d’un biais misogyne pernicieux, qui n’offrait aucun recours en justice dans ces années-là. Pire encore, subissant en plus des déboires financiers avec le département du revenu américain, elle se retire de la scène pendant presque dix ans.
C’est dans le contexte de cette traversée du désert que son album Breaking Silence paru en 1993 demeure un de ses incontournables : parce qu’il voit le jour après une décennie de silence. Elle y partage ouvertement sa sexualité, son manque d’argent et son identité juive.
Janis Ian rouvre son cœur à ses fans et, cette fois-ci, elle fait ses marques en tant qu’artiste indépendante, en créant notamment sa propre compagnie d’édition musicale. Elle retrouve de nouveau la scène, ainsi que qu’un succès qui reste authentique. Il est bon de noter que Janis Ian sera l’une des premières femmes étrangères à venir en Ontario en 2003, quand les provinces canadiennes venaient de commencer une par une à permettre aux autorités matrimoniales de célébrer le mariage pour tous et toutes.
Que faut-il retenir de la carrière de Janis Ian ? Qu’il n’est pas facile de courageusement défendre ses propres valeurs et de chanter humblement et consciencieusement pendant plus de 50 ans, en faisant face à des intérêts commerciaux et politiques qui exigent la conformité, le silence et le confort de tout ce qui reste facile, connu et-ou sans profondeur. La carrière musicale de Janis Ian est un exemple édifiant qu’il est toujours possible de vivre une vie authentique et honnête, tout en acceptant d’aborder des discussions difficiles. Certes, il semble toujours plus facile de jouer à cache-cache. Mais il faut reconnaître qu’en fin de compte, la sincérité
a un bien meilleur mérite.
Breaking Silence est un film à voir absolument. Il est magnifique, inspirant et objectif, en plus d’offrir des leçons sur l’honnêteté, la bienveillance et l’amour d’autrui.
En projection au Fifth Avenue Cinemas (2110, rue Burrard), jeudi 1er mai 2025, 13h – Billets : 18 $ (adultes), 15 $ (réduit).