La sphère politique : un enjeu d’intégration

Le conseiller municipal de Vancouver Kerry Jang en compagnie de Raj Hundal, un ancien collègue à l'Hôtel de ville

Le conseiller municipal de Vancouver Kerry Jang en compagnie de Raj Hundal, un ancien collègue à l’Hôtel de ville

Toute société qui prétend assurer aux hommes et aux femmes la liberté doit commencer par leur garantir leur existence. » Le Canada, de par sa constitution progressiste, peut se vanter d’offrir un modèle d’encadrement fidèle à cette réflexion de Léon Blum, ancien homme d’état français.

Pluri-ethnique, le Canada a érigé sa constitution sur un système démocratique semblable à celui de Westminster : le Parlement anglais. Si le continent nord-américain jouit aujourd’hui d’une large population d’immigrants, l’Histoire nous enseigne que le processus d’immigration débute au 16ème siècle. Une forte majorité d’immigrants venant d’Asie du Sud s’installe dans diverses villes comme Montréal, Toronto et Vancouver. L’intégration politique se fera ensuite progressivement. La première génération se voit contrainte à un dur labeur, afin d’offrir une vie décente à leur descendance. Pensant que la politique n’est réservée qu’à ceux dont les parents sont issus d’un milieu politique, ils restent a l’écart de toute scène politique. Ce ne sont que les deuxième et troisième générations, qui elles, empreintes de la culture canadienne et dégagées de tout complexe, vont s’immerger dans la politique active. Nombreux sont les enfants issus de parents d’immigrants qui sont élus au Parlement, à l’instar de Nina Grewal, Jasbir Sandhu et Ujjal Dosanjh ; ce dernier ayant servi comme Premier ministre de la Colombie-Britannique de 2000 à 2001 et a été deputé à la Chambre des Communes de 2004 à 2011.

Jasbir Sandhu, membre actif du parlement fédéral et originaire du Punjab, avance que la communauté d’immigrants, d’où qu’elle vienne, maitrise la politique, que ce soit au niveau provincial ou fédéral. Le nombre de journaux qui circulent au sein de leurs communautés et les talk-shows à la radio démontrent clairement que les asiatiques participent à l’actualité canadienne. « Je pense que les immigrants, quelles que soient leurs couches sociales, ne sont pas seulement à l’écoute, mais ils participent très activement à bâtir ce pays, afin de le rendre encore plus convivial » explique-t-il.

La démocratie comme une bouffée d’air frais

Malgré le fait que les immigrants originaires de l’Asie du Sud aient un ancrage profond dans leur tissu social, ceux de l’Asie de l’est, notamment de Hong Kong et de la Chine, se partagent une part égale dans leur contribution politique. Toutefois, les Hongkongais canadiens, de par leur arrivée plus ancienne, sont plus impliqués dans la politique active que leurs cou-sins de la Chine continentale.

Alors qu’ils possèdent l’expérience électorale, la communauté chinoise commence timidement à pointer le nez en présentant leur premier candidat, Frank Hwang, aux élections provinciales. Les dés politiques sont jetés parfois d’une manière folklorique dans la communauté du ChinaTown. Comme en Chine continentale, les assemblées se tiennent par régions géographiques. Les Sino-canadiens originaires d’une même région de la Chine continentale se réunissent plus souvent entre eux.

En foulant le sol canadien, les Chinois apprennent à se défaire de siècles de conditionnement sous l’emprise impériale autocrate. La démocratie est une chose nouvelle, et est aspirée comme une bouffée d’air frais. La transition requiert toutefois du temps. Dans les associations de famille, la politique alimente les conversations. On partage des nouvelles du pays et les discussions vont bon train sur la politique locale.

Kerry Jang, psychologue, professeur de psychiatrie et également conseiller municipal à la ville de Vancouver confie: « Ce n’est qu’une question de temps jusqu’à ce qu’ils comprennent le système canadien. Etant Chinois, je me suis senti pendant longtemps comme un citoyen de seconde zone. Personnellement, je me soucie du bien-être des gens et de la qualité de leur quotidien. Ce qui me tient à cœur c’est que chaque citoyen ait une heureuse expérience de la vie ici et l’opportunité d’exceller dans sa profession. Je me réjouis des opportunités égales et c’est vers cela que j’œuvre toujours ».

Une implication mitigée

Si les « grandes minorités » font entendre leurs voix au sein d’une politique active, les réfugiés et immigrants d’autres parties de l’Asie préfèrent garder un profil bas. La petite communauté des Afghans qui compte 30,000 habitants, marquée jusqu’au plus profond de leur être par des guerres civiles, se sent reconnaissante de pouvoir vivre au Canada. Les activités politiques ne les intéressent guère. « La vie est tellement agréable ici que nous remercions le ciel tous les jours de la chance de pouvoir vivre dans un pays si accueillant » dit Mahmoud Mooradi, qui gère une petite boulangerie artisanale afghane avec son père et dont la famille a fui l’Afghanistan alors qu’il n’avait que deux ans.

Si l’Union soviétique n’existe plus, ses ressortissants se retrouvent ici soudés par le lien du langage. Ainsi, les 15 pays qui recensent une large fourchette de 25,000 à 50,000 habitants, cohabitent socialement, dit Art Cherkasov, consul honoraire de la Russie. Le temps de l’adaptation passée, cette communauté commence à peine à s’intégrer dans la politique provinciale. Yurii Guz, ressortissant russe qui a débarqué au Canada il y a à peine un an, après cinq années passées aux Etats-Unis, a quitté Vancouver pour s’installer à Fort McMurray, près des puits de pétrole. « La vie est tellement belle au Canada. Pourquoi se soucier de la politique ? Toutefois, les taxes sont trop élevées en Colombie-Britannique et c’est difficile de joindre les deux bouts ».

Tandis que dans d’autres pays, les minorités ne sont pas visibles au Parlement, ici elles sont présentes et sont définitivement une force pour le pays. L’avocat Massood Joomratty, conseiller en immigration lance d’un ton optimiste : « le Canada est le seul pays au monde à disposer d’un ministère du multiculturalisme. Le peuple a toujours sa voix et la culture est célébrée. Il faut continuer à encourager une participation plus élargie de toutes les communautés. Qu’elles se sentent toutes parties prenantes dans les activités économiques et sociales afin qu’il n’y ait pas une société à deux vitesses ».

Il est évident que si les différentes cultures apportent des perspectives convergentes, cela ne peut que renforcer le système canadien.