ChatGPT : est-ce une menace éthique pour le journalisme ?

Correcteur grammatical, traducteur : le recours à ces outils d’intelligence artificielle (IA) est devenu pratique courante pour nombre d’entre nous. ChatGPT, bien connu des étudiants, suscite des débats dans l’enseignement mais aussi dans tous les métiers de la rédaction. Qu’en est-il du générateur de texte pour les journalistes ?

Pour Colette Brin, professeure titulaire à l’Université Laval, directrice du Centre d’études sur les médias et membre de l’Observatoire international des impacts sociétaux de l’IA et du numérique (OBVIA), ChatGPT est un outil puissant mais qui n’est pas sans problème. « Pour utiliser ChatGPT, il faut déjà avoir une expertise sur le sujet ou dans la matière qu’on lui demande de traiter. Il peut accélérer certaines tâches, notamment celles qui sont fastidieuses, mais il reste encore une opacité dans son fonctionnement. On a vu que, quand il ne trouve pas une information, il l’invente ou fait des liens inappropriés entre deux informations. Pour le moment, ChatGPT n’avait que des informations très récentes », explique-t-elle en étayant tout de même cette méfiance de prime abord par l’usage ludique et créatif qu’en font certaines personnes.

Colette Brin, professeure à l’Université Laval. | Photo : Colette Brin

La directrice du centre d’études doute aussi de la bonne réception du public quant aux articles portant la mention « écrit avec l’aide de ChatGPT » au bas. Elle dédiabolise le générateur de texte : « C’est un outil comme Wikipédia par exemple ou un logiciel de correction grammaticale. On utilise aussi déjà beaucoup la traduction automatisée, par exemple », souligne Colette Brin.

Alain Saulnier, ancien directeur général de l’information à Radio Canada, professeur retraité de l’Université de Montréal et auteur des Barbares numériques, rejoint Colette Brin sur la bonne compréhension qu’il faut faire de l’outil. « Je me méfie de ceux qui sont contre sans même trop savoir de quoi il s’agit. C’est dangereux parce qu’on peut refaire l’histoire avec de mauvaises informations et de la désinformation. Il n’y a rien de pire pour un journaliste si on fait des recherches et que les sources nous amènent vers des données et des informations non avérées. De même, le risque est de remplacer des journalistes pour des résultats sportifs ou bien des cotes de la Bourse », explique Alain Saulnier.

ChatGPT a suscité beaucoup d’émois du corps enseignant en raison de son usage abusif par des étudiants. Colette Brin prône l’explication plutôt que l’interdiction pure et simple. « On préfère montrer les forces et les faiblesses de cet outil. Des professeurs ont déjà exploré avec des exercices ses possibilités et ses limites », explique la professeure.

Le modèle financier du journalisme, racine plus profonde du mal

Si l’intelligence artificielle, avant ChatGPT, a connu un emballement avec des investissements importants de plusieurs millions de dollars, la question du modèle financier du journalisme lui-même s’invite forcément dans le débat de ChatGPT et du journalisme.

« Il n’y a pas beaucoup de personnes qui peuvent en parler finalement. Il y a les experts, dont des anciens de Google qui viennent de démissionner pour pouvoir parler de ces choses-là mais ils n’étaient pas en mesure de vulgariser ces enjeux pour le grand public. Ça s’améliore, il y a d’autres expertises, dans le domaine de la régulation par exemple et de l’éthique de différentes applications. Le constat qu’ils ont fait est que les médias, pendant dix ans, parlaient de façon très superficielle de ces sujets-là. On a eu du mal à avoir un vrai débat sur le sujet », explique Colette Brin.

Quid des conseils de presse, organe de régulation des médias ? « S’il y avait des problèmes majeurs, des contenus fabriqués de toutes pièces par exemple, ce ne sont pas les conseils de presse qui sont équipés pour détecter ça. Ils n’observent pas comme tout le monde », poursuit-elle, et qui évoque une étude faisant état d’une cinquantaine de sites qui se présentent comme des médias d’information mais dont le contenu est entièrement généré par l’IA, difficile à discerner lorsqu’on peut étudier chartes de déontologies et autres ouvrages pointus.

Alain Saulnier, partisan de la propriété des médias aux citoyens et citoyennes, dénonce la propriété des médias par des familles richissimes, citant l’œuvre de Julia Cagé et Benoît Huet. La publicité n’étant plus le modèle d’affaires sur lequel doivent se baser les médias, accaparée à 80 pour cent par Google et Facebook, il suggère les coops de l’information, un modèle déjà prisé par des médias canadiens tels que Le Soleil par exemple. « Si les médias sont la propriété des citoyens ou d’organisations à but non-lucratif, ou de coopératives, les journalistes vont avoir les coudées plus franches pour faire et couvrir tous les sujets voulus. En France, ils peuvent faire mais dans la limite de ce que les propriétaires veulent ou pas. Tout ça est inacceptable dans notre société démocratique », explique l’auteur.

Alain Saulnier, ancien directeur général de l’information à Radio Canada | Photo: Alain Saulnier

Cadre législatif, responsabilité et citoyenneté à la rescousse

L’espoir viendrait peut-être aussi du cadre législatif, selon Alain Saulnier. « On va devoir, comme journaliste, jouer un rôle de plus en plus averti et il faut que l’État se pose la question de comment apprivoiser la situation avec ces géants numériques, pour la plupart américains, qui sont en train d’imposer toutes sortes de bidules qui viennent bouleverser nos vies. On ne peut pas accepter qu’elles ne soient pas soumises à une réglementation. C’est la raison pour laquelle je favoriserais les projets de loi comme C-11 adopté récemment à Ottawa. Je soutiens aussi la proposition du projet de loi C-18 qui prévoit des redevances de Google et Facebook aux médias », explique le professeur retraité.

Pour Alain Saulnier, il faut pratiquer un journalisme responsable. « ChatGPT devient un simple instrument de travail. Le journaliste responsable va devoir vérifier et contre-vérifier toutes les informations qui pourraient être utilisées par ChatGPT. On est dans cet univers où la désinformation a des prises sur l’information en général. C’est aux journalistes de rétablir les faits, la qualité de l’information », explique-t-il.

« On parlait il y a quelques années de faire du journalisme citoyen. On prétendait que n’importe quel citoyen pouvait devenir journaliste. Mais au contraire, on aurait de plus en plus besoin de vrais journalistes pour faire la part du vrai et la part du faux », explique Alain Saulnier qui met le journaliste au centre d’un futur proche où la qualité de l’information et le discernement sont plus que jamais menacés.

Pour plus d’information visiter:
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