L’accord de Paris sur le climat est un échec. Dans un article du quotidien français Le Monde, on pouvait lire cette semaine « Limiter le réchauffement climatique à 1,5°C est désormais impossible ». Le compteur à CO2 de l’observatoire de Mauna Loa[1] à Hawaii indique sur son site 430.51 ppm pour mai 2025, soit une augmentation de 0,8% en un an et le budget carbone pour tenir l’objectif de 1,5 degré – qui est la limite sécuritaire calculée par les scientifiques du GIEC- n’est plus que de 320 milliards de tonnes de CO2 d’après.
L’administration nationale de l’océan et de l’atmosphère (NOAA) qui gère l’observatoire de Mauna Loa est dans le viseur des décrets présidentiels cherchant à déstabiliser la recherche américaine. On imagine le résultat escompté par les coupes budgétaires et les licenciements : ensevelir les preuves du changement climatique et mettre à mal la collecte de données dans le but inavouable de protéger les responsables des poursuites judiciaires.
Le droit va mal, et la démocratie avec. À bien y regarder, il n’y a pas que le droit de l’environnement qui butte. Pendant que le droit international humanitaire est piétiné dans les décombres de Gaza sous les yeux ébahis des observateurs, les droits de l’homme, le droit des étrangers et les droits civiques sont niés… aux États-Unis et ailleurs. Dans ce contexte, certains osent parler de légicide : la mise à mort du droit qui annoncerait l’effondrement de la démocratie. Un tragique mouvement se dessine actuellement. On défait le droit au nom de la liberté… économique bien sûr.

« … les écosystèmes ont des besoins propres que le Droit de la Nature entend faire reconnaître »
Face aux multiples risques qu’augure cette tendance légicide, et pour retrouver de l’espoir il faut désormais se tourner vers les initiatives de rupture. Les juristes prennent toute leur part. Une nouvelle branche intitulée « Droit de la Nature » est un mouvement en marche depuis les années 2000. Fondée sur une approche biocentrique, c’est-à-dire fondée sur le vivant, le Droit de la Nature cherche à doter les écosystèmes de la personnalité juridique. À la croisée des chemins entre philosophie, culture et spiritualité, cette initiative part du constat suivant : dans les systèmes juridiques occidentaux, seules les personnes physiques ou morales sont titulaires de droits. Les écosystèmes, les plantes, les animaux mais aussi les ensembles écosystémiques tels que les rivières ou les montagnes ne sont reconnus qu’en tant qu’objet juridique soumis à leur propriétaire. Cette approche faible a permis le développement très peu satisfaisant des concepts de durabilité (satisfaire les besoins présents sans compromettre ceux des générations futures) sans jamais savoir enrayer réellement la crise écologique. Une réglementation qui ne se contente que d’encadrer les conditions d’exploitation d’une nature pensée « au service de » l’homme et de l’économie ne pouvait peut-être pas conduire à autre chose.
Le Droit de la Nature tel que conceptualisé notamment par l’historien Thomas Berry propose une révolution juridique et intellectuelle dans laquelle tous les membres de la communauté du vivant sont dotés d’au moins trois droits fondamentaux : le droit d’exister, le droit de disposer d’un habitat, et le droit de jouer son rôle dans les cycles de la communauté. Par cette approche inclusive qui cherche à rompre avec l’anthropocentrisme, l’homme n’est que l’un des membres de la communauté des êtres vivants dont le bien être dépend du bien-être de toute la communauté. Cette vision a le mérite de la rigueur puisqu’il est scientifiquement indéniable que les humains ne peuvent prospérer qu’à la condition de se réguler en accord avec les mécanismes de la vie et leurs limites.
Puisque notre droit actuel est confronté au bilan d’échec, le temps est venu de le métamorphoser. Alors que les sciences s’intéressent à comprendre et mesurer ce qui est, le droit a cette capacité à définir le « devoir-être », c’est-à-dire les comportements. Le Droit de la Nature est un champ d’exploration à la fois passionnant et nécessaire. L’idée commence à se traduire en réalité juridique dans différents pays qui par leur législateur ou leurs tribunaux ont commencé à reconnaître la personnalité juridique des écosystèmes comme en Équateur, en Inde, en Ouganda, mais aussi en Espagne lorsque le Sénat a reconnu en 2022 sous la pression populaire la personnalité juridique à la Mar Menor, cette lagune qui mourrait sous l’effet de l’urbanisation et de la pollution agricole.
Les humains ont besoin des écosystèmes et les écosystèmes ont des besoins propres que le Droit de la Nature entend faire reconnaître. Un mouvement marqué moins par la nouveauté que par la sagesse – puisque les peuples autochtones n’avaient pas attendu le Droit de la Nature pour ainsi penser l’Existence – s’organise avec vigueur et clairvoyance. Pour celles et ceux qui en auraient le cœur et le courage, il me semble que l’époque est bien choisie pour être juriste de la Nature.
[1] https://gml.noaa.gov/ccgg/trends
Aloïs Gallet est juriste, économiste, co-fondateur d’EcoNova Education et Conseiller des Français de l’étranger.