le Dimanche 16 mars 2025
le Lundi 20 janvier 2025 17:05 | mis à jour le 24 janvier 2025 20:18 Société

Les droits de la nature : une révolution des perceptions venue de l’Équateur

Cet entretien a été synthétisé et traduit de l’espagnol pour des raisons de concision. Les droits de la nature, un concept juridique novateur, reconnaissent les écosystèmes comme des entités vivantes dotées de droits fondamentaux. Bien que ce principe commence à émerger au Canada, comme en témoigne la reconnaissance des droits de la rivière Magpie au Québec, c’est en Équateur qu’il a été inscrit pour la première fois dans une Constitution nation
Les droits de la nature : une révolution des perceptions venue de l’Équateur
00:00 00:00

Natalia Greene est une militante équatorienne, coordinatrice mondiale de la Global Alliance for the Rights of Nature (GARN) et membre du comité exécutif de GARN. Elle est également secrétaire du Tribunal international pour les droits de la nature. | Photo courtoisie

Cet entretien a été synthétisé et traduit de l’espagnol pour des raisons de concision.

Les droits de la nature, un concept juridique novateur, reconnaissent les écosystèmes comme des entités vivantes dotées de droits fondamentaux. Bien que ce principe commence à émerger au Canada, comme en témoigne la reconnaissance des droits de la rivière Magpie au Québec, c’est en Équateur qu’il a été inscrit pour la première fois dans une Constitution nationale d’un pays en 2008.

Natalia Greene, une militante écologiste équatorienne et membre du Tribunal International des Droits de la Nature, apporte lors de cet entretien avec le journal La Source, un éclairage sur ce concept juridique pour mieux faire comprendre ce mouvement tout en envisageant ses perspectives au Canada.

 

La Source : Natalia Greene, que signifie accorder des droits à la nature  ?

Natalia Greene : Cela signifie reconnaître la valeur intrinsèque de la nature, indépendante de son utilité pour les humains. Une rivière ou une montagne a le droit d’exister, de se régénérer et de maintenir ses cycles vitaux. Ce n’est pas seulement une approche environnementale  : c’est une révolution philosophique.

En Équateur, cette vision s’inspire des cosmovisions indigènes, qui voient la nature comme une mère vivante. Nous avons inscrit ces droits dans la Constitution en 2008, grâce à un processus participatif impliquant mouvements sociaux, peuples autochtones et activistes écologistes. Nous voulions repenser notre relation avec la nature  : elle n’est pas un objet que l’on exploite, mais un sujet que l’on protège.

La Source : Comment ces droits se traduisent-ils dans la pratique  ?

NG : Un cas emblématique est celui de la rivière Vilcabamba. Une route en construction menaçait cet écosystème, et grâce aux droits constitutionnels, les travaux ont été arrêtés. La rivière a été reconnue comme ayant le droit de maintenir ses cycles naturels, et des réparations ont été exigées.

Cependant, des défis demeurent, notamment face aux industries extractives. Les projets miniers et pétroliers, soutenus par des gouvernements ou des multinationales, continuent de mettre en péril ces écosystèmes. Même lorsque les tribunaux se prononcent en faveur de la nature, les réparations sont souvent symboliques et insuffisantes, comme ce fut le cas pour Vilcabamba, où des panneaux ont été installés, mais sans restauration écologique réelle.

La Source : Quels conflits émergent entre les droits de la nature et d’autres priorités, comme le développement  ?

NG : Ces conflits sont fréquents, surtout avec l’exploitation minière ou pétrolière. Par exemple, dans le cas de la mine Condor Mirador, les droits de la nature ont été sacrifiés au nom du « développement ».

Tout dépend de comment on définit le développement. S’il signifie exploiter les ressources naturelles à outrance, il est en conflit direct avec les droits de la nature. Mais si l’on mise sur des solutions comme les énergies renouvelables ou le tourisme durable, il est possible d’allier développement et protection de la nature.

La Source : Pensez-vous que ce modèle pourrait être adopté au Canada  ?

NG : Oui, absolument. Le Canada, avec sa biodiversité et ses traditions autochtones respectueuses de la nature, est bien placé pour adopter ces droits.

À l’échelle mondiale, 39 pays ont introduit des lois ou jugements en faveur des droits de la nature. En Équateur, cela reste unique car inscrit dans la Constitution, mais d’autres exemples, comme le Mar Menor en Espagne, montrent que ce mouvement gagne du terrain. L’adoption de ces droits repose sur une forte mobilisation sociale et une volonté politique, souvent inspirées des cosmovisions indigènes ou d’une perspective écocentrique.

La Source : Pouvez-vous nous parler du rôle du Tribunal International des Droits de la Nature  ?

NG : Le Tribunal est un espace éthique et symbolique qui donne une voix aux écosystèmes et aux communautés victimes de violations environnementales. Il sensibilise le public et exerce une pression morale sur les responsables. Bien que ses décisions ne soient pas juridiquement contraignantes, elles encouragent des actions locales et renforcent la mobilisation. Nous allons d´ailleurs organiser un Mock Trial à Toronto, au Canada le 28 février prochain, vous êtes les bienvenus !

La Source : Quels sont vos espoirs pour l’avenir des droits de la nature  ?

NG : Nous vivons un moment décisif. Les crises écologiques mondiales – changement climatique, perte de biodiversité – nous forcent à revoir nos priorités. Les droits de la nature représentent une réponse forte, en soulignant notre interdépendance avec la planète.

Ce concept va bien au-delà du domaine juridique  : il nous invite à réimaginer notre façon de vivre sur Terre, pour bâtir un futur où la nature est pleinement respectée et protégée. Mon espoir est que ce mouvement déborde dans le public, et que chacun en comprenne l’importance.

Propos recueillis par Apsara Cordonnier