Le français réinventé au quotidien

Photo par SFU Public Affairs and media relations, Flickr

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Pauline fraîchement débarquée des Hautes-Alpes françaises n’en revient pas. La jeune femme a rejoint des amis d’enfance qui vivent à Vancouver depuis quelques années. «Que ce soit à l’écrit comme à l’oral, ils introduisent continuellement des mots anglais dans leur conversation française. Mélangé au patois d’origine, c’est parfois à mourir de rire.» Et fatiguant aussi pour celui qui ne serait pas habitué. Pourtant beaucoup s’accordent sur une excuse : la rapidité. Baignés dans l’anglophonie, les francophones adoptent des automatismes de leur langue d’adoption. A l’heure où chacun essaie de se simplifier la vie, les abréviations et le langage ‘texto’ ont la côte que cela soit dans les courriels, par sms ou même dans les discussions du quotidien. Les expressions «Il faudrait checker cela» ou «je vous réponds asap» sont entrées dans les habitudes.

Le bilinguisme est-il alors toujours un avantage ou le vecteur d’appauvrissement d’une langue enrichie et chahutée par l’omniprésence anglaise? Le professeur Christian Guibault spécialiste en linguistique à l’Université Simon Fraser conduit actuellement une recherche sur la langue des sms. Il remarque que la présence de tant de mots anglais en français est le résultat d’un certain désir d’être à la mode, ou d’être plus efficace, selon les circonstances.

Un fait à nuancer notamment chez les francophones québécois, ils sont plus « allergiques » aux emprunts lexicaux du moins à l’anglais pour des raisons de survie de leur langue. «L’influence de l’anglais sur le français est un peu plus marqué dans un environnement minoritaire, comme celui de la Colombie-Britannique. Mais la même chose se constate-rait sans doute d’un francophone vivant à New York ou Londres.» Le spécialiste analyse que les plus jeunes (15–20 ans) sont plus actifs, et habituellement moins normatifs, plus créatifs que les adultes. à l’image de Mathilde qui l’avoue bien volontiers «lorsque j’envoie un message, je mélange les deux langues, selon ce qui sera le plus court à écrire et ce qui est le plus employé ici, autour de moi.»

Les nouvelles technologies et le travail
Lors du recensement de 2006, 78% des Canadiens déclaraient utiliser principalement l’anglais au travail, comparativement à 22% qui utilisaient principalement le français.

Benoit, quant à lui gérant dans une entreprise française nuance «dans le monde de l’entreprise, c’est tout en anglais ou bien tout en français. On ne mélange pas les langues et on évite d’angliciser. D’ailleurs, j’ai plusieurs clients francophones avec qui je traite donc en français. De même avec les employés. Mais lorsque l’on démarre une conversation, qu’elle soit écrite ou orale, c’est important de la terminer dans la même langue.» Hema travaille pour un centre d’appel dans le Grand-Vancouver et fait aussi cette distinction : «on emploie autant le français que l’anglais mais on laisse le choix. Par exemple si on répond à un client, il est malpoli de choisir la langue à sa place. Mais lorsque l’on utilise notre chat interne, même quand on débat en français, on utilise des abréviations comme omw, btw, wtf, thx…»

Comme le souligne le Secréta-riat à la linguistique du Québec : «tout le monde le sait maintenant, les nouvelles technologies de l’information sont en train de chambouler les façons dont les gens travaillent, vivent.» On sait aussi que l’anglais prédomine en informatique et dans les nouvelles technologies de l’information et des communications. L’introduction massive de l’informatique dans la vie de chacun et dans les milieux de travail propage l’emploi de l’anglais et compromet l’usage du français comme langue de travail. Les nouvelles technologies et l’utilisation de plus en plus envahissante de l’Internet posent de nouveaux défis à la francisation des milieux de travail et des communications. «En effet, une évaluation de l’espace web indique que sur un total d’un milliard de pages ouvertes depuis 6,4 millions de serveurs, 86,55% des documents sont en anglais contre 2,36% en français».

Mais les emprunts des langues entre elles sont un phénomène naturel du contact des langues et il ne faudrait pas s’inquiéter outre mesure. Les langues ont toujours emprunté aux autres, et malgré les discours des puristes, elles sont encore bien distinctes les unes des autres et bien vivantes. Christian Guibault se veut rassurant : en général les emprunts sont un enrichissement aux langues, tant et aussi longtemps que ces derniers ne sont pas en trop grand nombre.