De l’art de bien se moucher

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Je ne suis restée que 3 mois à Vancouver et pourtant, quand je suis rentrée à Paris, il m’a fallu un certain temps de réadaptation. J’avais à peine mis un pied dehors que déjà, je retrouvais l’agitation de la vie parisienne et la mauvaise humeur qui l’accompagne. Au début, j’étais plutôt contente de retrouver ce petit monde de gens grincheux et stressés par la vie quotidienne. Ça faisait trois mois que je n’avais pas pu râler ou me plaindre d’une injustice quelconque, malgré quelques tentatives infructueuses au Canada, et je mourais d’envie de pouvoir râler à nouveau.

Pourtant, très vite, je me suis sentie « en décalage » avec ce que je voyais. Ce qui m’a tout de suite frappée, c’est le bruit. Alors qu’au contraire, j’avais retenu de Vancouver une impression de calme et ce, malgré la taille de la ville. J’étais perplexe. En fait, j’avais l’impression d’être un peu schizophrène, recherchant l’agitation mais étant en même temps indisposée par elle. En fait, ce décalage momentané me permettait d’être spectatrice. Et soudain, j’ai fait le lien. Tout ça c’était du théâtre. C’était du Molière.

Je me souviens très bien de quelques-unes de ses pièces pour les avoir vues et revues à l’école. C’était un tohu-bohu de personnes qui s’agitent, parlent fort, et parfois en viennent même aux mains. En y repensant, je me suis dit que l’important, c’est le bruit. Ce qui compte, c’est d’être entendu. Par qui ? On ne sait pas. Mais peu importe, ce n’est pas ce qui compte. A Paris, tout doit être théâtral. Mon aventure canadienne m’a permis de me rendre compte à quel point j’étais imprégnée par cette culture de la « flamboyance » et du bruit.

Comme j’ai pu le dire, je garde de Vancouver une impression de quiétude et une certaine sérénité dans les relations entre ses habitants. Pendant trois mois, je n’ai pas noté un mot plus haut que l’autre entre Canadiens (entre Français ça ne compte pas…). Et pourtant j’ai cherché. J’ai bien tenté de me fondre dans le décor, mais en bonne parisienne que je suis, cela m’a valu quelques déconvenues.

Ces déconvenues s’illustrent pour moi avec le bus n° 20 qui relie le quartier de Commercial Drive au centre-ville. A force d’emprunter cette ligne, je me suis vite aperçue que certains de mes gestes étaient peu appréciés des Canadiens, comme le fait de se moucher bruyamment. Certains pourront penser que ce genre de considérations est tout à fait anecdotique quand on parle de différences culturelles, voire ridicule. Pourtant, ce geste anodin s’avère d’une importance capitale.

Il est certain que se moucher n’est pas l’action la plus élégante au monde, et que le bruit qui la caractérise n’est pas très agréable. C’est pourquoi, selon les règles de la bienséance, il me faudrait accomplir « la chose » en silence. Toutefois, je ne peux m’empêcher d’effectuer ce geste avec une exagération certaine, et presque avec entrain. Avec ce geste exagéré, je vis, j’occupe l’espace et je manifeste ma présence aux autres. Même si les autres en question, dans ce bus n° 20, me regardent avec agacement.

En y réfléchissant, je me dis que l’épisode du mouchoir – plus que toute autre expérience dans ma vie – m’a permis de comprendre à quel point le monde est riche, et que le geste le plus insignifiant peut revêtir les significations les plus diverses en fonction des cultures. Désormais, quand je pense à la diversité dans le monde, j’évite les grandes théories. L’épisode du mouchoir, c’est ma diversité culturelle à moi.