Le printemps érable

J’aime Vancouver au mois de mai. Aznavour préfère Paris. Chacun ses goûts. Et pendant que j’y suis, je vais même un peu plus loin : j’aime le Canada aussi, pendant ce mois qui chaque année promet. De toute évidence, je l’admets, je suis pro-mai. C’est un mois qui ne me laisse pas indifférent. Il ne passe jamais inaperçu. Un mois coloré. Cette année ne fait pas exception.

Nous avons vu mai dans tous ses états. Celui du désarroi pour commencer. En effet, aucune équipe canadienne, encore une fois, ne gagnera la coupe Stanley. Toutes celles ayant participé aux éliminatoires ont disparu de la circulation au cours du mois. La série noire se poursuit. Plus de Go Canucks Go. L’équipe vancouvéroise a été éliminée dès le premier tour. Aucune surprise de ce côté là. On s’y attendait. L’équipe est en déconstruction comme dirait Derrida. Calgary, Winnipeg et Montréal ont subi le même sort. Au fond, je ne suis pas mécontent. Cette déconvenue nous épargnera des émeutes à caractère délinquant dont la ville peut se passer. Gone Canucks Gone.

La médaille d’or obtenue à Prague par l’équipe nationale de hockey du Canada a, brièvement, réussi à atténuer la douleur. Nous en avions besoin. C’est donc reparti, mon kiki: Go Canucks Go.

Au suivant, comme dirait Jacques Brel.

Elizabeth May, chef du Parti Vert fédéral. | Photo par Alex Guibord

Elizabeth May, chef du Parti Vert fédéral. | Photo par Alex Guibord

En mai, ne fais pas ce qui te plaît, a dû se dire Elizabeth May, le lendemain de sa bévue qui lui a valu la risée de ses collègues ainsi que celle des médias sociaux et autres. Pauvre Elizabeth. Elle qui voulait tant bien faire. Elle qui désirait faire rire la galerie, une assemblée de députés et de journalistes invités au dîner de la presse. Elle a mis les pieds dans le plat. Elle est tombée sur un os. Elle avait les yeux plus gros que la panse, lors de ce repas où tout le monde, majorité et opposition, politiciens et journalistes, fait semblant de s’entendre et de s’aimer, avant de reprendre les hostilités pas plus tard que le lendemain. Elle, je parle toujours d’Elizabeth May, s’est prise, l’espace d’une soirée, pour une comique. Elle a tenté d’être drôle, marrante, cocasse. Elle a voulu faire de l’humour sans en connaître les rouages. Humour et politique ne font pas toujours bon ménage. Elle l’a appris à ses dépens. Qu’elle se console et se contente de savoir que son dérapage n’aura aucune conséquence sur son avenir politique. Personne, censé sensé, n’osera lui en tenir rigueur. Elle n’a pas à rougir de honte. Rose à la main, elle peut continuer à imaginer la vie en Vert.

Autre fait marquant du mois de mai : l’élection de Pierre Karl Péladeau (PKP) à la tête du Parti Québécois. Monsieur a été élu pratiquement sans opposition. « À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire » ont dû penser les militants désabusés et les cyniques comme moi. Corneille aurait été d’accord. J’ai pu constater, non sans un certain plaisir, le peu d’enthousiasme soulevé par ce choix. PKP, ce n’est pas René Lévesque. La majeure partie des syndicats, ainsi que quelques souverainistes purs et durs, de tendance socialiste, ne sont pas très enchantés à l’idée de l’avoir comme chef de file des indépendantistes. La victoire, ce n’est pas encore pour demain, doivent-ils se dire. Un homme d’affaires ne fait pas automatiquement un bon homme politique. Un multimillionnaire ne vous remplit pas nécessairement les poches et un homme à l’égo ultra-gonflé peut vous indiquer la mauvaise direction, vous menant ainsi sur des voies sans issue. Avec PKP, le rêve indépendantiste risque de le demeurer – un rêve.

Mai s’est aussi manifesté par la tenue d’élections un peu partout (en Angleterre, à l’Île-du-Prince-Édouard notamment). Mais ce sont celles de l’Alberta qui ont surtout retenu mon attention. Mai s’est particulièrement distingué en recouvrant d’orange cette province de l’Ouest où le pétrole, désormais, ne coule plus tellement à flots. Au pays des sables bitumineux, les conservateurs ne sont plus rois. Après quarante années de régime ininterrompu, ils ont dû céder la place aux néo-démocrates. Si il y a une province où une telle tournure d’évènement ne pouvait se produire, j’aurais pensé que c’était bien l’Alberta. J’ai cru rêver en apprenant les résultats. Pour le premier ministre Stephen Harper, le cauchemar vient peut-être de commencer. À quelques mois des élections fédérales, je pense maintenant que tout est possible. First we take Manhattan, then we take Berlin*. Traduction libre, cette fois interprétée par Thomas Mulcair : D’abord nous prenons l’Alberta, ensuite nous prenons Ottawa.

Ne m’en veuillez pas. En mai, je me permets d’écrire ce qui me plaît. Et dire que, contrairement à cet article, le mois n’est pas fini. Il peut se passer encore plein de choses d’ici là.

* De Leonard Cohen