Quand les libertés individuelles s’excluent

Paul Schratz, directeur des communications de l’archidiocèse de Vancouver. | Photo de Paul Schratz CJ Rowe, directrice de Qmunity. | Photo de CJ Rowe

Paul Schratz (gauche), directeur des communications de l’archidiocèse de Vancouver. | Photo de Paul Schratz
CJ Rowe (droite), directrice de Qmunity. | Photo de CJ Rowe

Le 1er novembre 2016, la cour d’appel de Colombie-Britannique a rejeté un recours du Barreau de la province. Le motif ? Le Barreau s’inquiétait de la discrimination potentielle faite à l’égard des personnes homosexuelles par l’Université Trinity Western (TWU) et l’ouverture prochaine de son école de droit à Langley, dans la grande agglomération de Vancouver. À tous les nouveaux élèves, cette dernière fait signer un contrat interdisant toute relation sexuelle pendant la durée des études. Seules les relations « dans le cadre des liens sacrés du mariage entre un homme et une femme » sont autorisées, ce qui remet indirectement en question la légitimité des mariages entre personnes de même sexe.

Minorité religieuse contre minorité sexuelle

La Charte canadienne des droits et des libertés garantit la liberté fondamentale « de conscience et de religion ; la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression ». Aussi, TWU n’a a priori pas dépassé la ligne rouge en choisissant de pratiquer sa foi en ne mettant pas au même niveau le mariage religieux et mariage civil.

Comme l’explique Paul Schratz, directeur de communication de l’Archidiocèse de Vancouver, « nous [l’archidiocèse de Vancouver] sommes intervenus dans le débat, car nous y avons vu un problème d’une importance fondamentale. Le Canada est un pays de lois et nos premières lois garantissent la liberté de religion. »

En effet, si une école choisit d’adopter un certain type de conduite basé sur une liberté fondamentale – ici celle de croyance et pratique religieuse –, son choix s’inscrit dans le cadre de la loi. « Une école religieuse a le droit au Canada de pratiquer sa croyance sans interférence », ajoute Paul Schratz. Si les règles ne plaisent pas, « personne n’est obligé de s’inscrire à TWU, personne n’est forcé d’agir d’une manière qui ne lui convient pas ».

Cas d’exclusion réciproque

Si l’on se penche plus précisément sur la fameuse Charte, on s’aperçoit que la communauté homosexuelle possède également des droits, notamment la reconnaissance de la liberté fondamentale d’union avec une personne de même sexe. On se retrouve donc dans une situation compliquée où les différents droits octroyés aux citoyens entrent en conflit.

« Un droit ne gagne pas sur un autre », continue Paul Schratz. « Le Canada essaie toujours d’accommoder les besoins des différents ayants droit, et c’est ce que la cour d’appel a su déterminer avec sagesse en rejetant le recours. » D’ailleurs, l’un des arguments utilisés est que les hétérosexuels sont également affectés par cette abstinence.

Oui, mais…

« Cette université qui enseigne la loi ne respecte même pas la loi elle-même puisque, d’un point de vue légal, le mariage homosexuel est l’égal d’un mariage entre un homme et une femme », s’agace une étudiante, outrée par le fait même qu’une université s’immisce dans la chambre à coucher de ses étudiants, que ceux-ci soient d’ailleurs hétérosexuels ou homosexuels. Pourtant, la loi a été claire : TWU est dans son droit le plus strict avec ce contrat.

« Ce que le contrat dit, c’est que tout le monde peut suivre des cours à TWU, mais ceux qui sont engagés dans un mariage avec une personne de même sexe ne sont pas autorisés à étudier là », avance CJ Rowe, directrice de l’association Qmunity représentant la communauté Queer de C.-B. En effet, si vous êtes déjà marié à une personne de même sexe au moment de la signature du contrat, vous n’êtes donc pas en situation de pouvoir honorer ce contrat et de vous inscrire à TWU (il faudrait alors choisir entre vos études ou votre mariage puisque les premières vous empêcheraient de consommer le second).

Stigmatisation ?

« Nous préparons un appel », déclare CJ Rowe. « Pour le moment, nous attendons de voir. Le dossier va être amené devant la Cour suprême du Canada », explique-t-elle. Pour cette dernière, le rejet de la cour d’appel montre indirectement que « ces inégalités sont acceptables ».

Une chose est certaine, la directrice est inquiète. Ce contrat montre clairement qu’il y a deux poids, deux mesures dans la perception du mariage hétérosexuel et du mariage homosexuel : « C’est une conversation difficile. Je suis très inquiète pour ces personnes qui sont encore dans le placard et qui vont aller à cette université. Ce contrat encourage la stigmatisation rien que par son existence. Quand je regarde cette affaire en tant que membre de la communauté homosexuelle et avec ma connaissance des ravages que font le rejet, le jugement, le manque d’inclusivité, je pense que ce contrat est dangereux ».

Vu la décision de la cour, TWU est dans son droit, mais parfois, du tort et des dommages sont causés sans que la loi soit enfreinte pour autant. La suite de cette réflexion peut uniquement se placer sur des hypothèses : une dérive religieuse est-elle en train de s’installer ? Est-ce qu’il y aura des conséquences culturelles néfastes, ou est-ce que ce sont les minorités sexuelles qui montent au créneau trop facilement ?

Seul l’avenir pourra apporter des réponses, ce qui rend d’autant plus difficile l’instruction de cette question. En revanche, une chose est certaine : si l’on se met dans la peau d’une personne à la fois pieuse et homosexuelle qui souhaiterait étudier à TWU pour être entourée de personnes partageant les mêmes valeurs religieuses, le message qui lui est envoyé est clair : l’université ne reconnaît pas ton mode de vie, ton mariage ne vaut pas un mariage hétérosexuel. On ne s’avance pas beaucoup en disant que cela saurait certainement être destructeur pour une telle personne.

Peut-on faire de la demi-mesure dans ce genre de situation ? Être ouvert à faire venir les populations LGBTQ/2S, mais leur refuser une reconnaissance fondamentale qui est celle d’aimer dans le cadre d’un mariage validé par le législateur et par la Charte des droits de l’homme ?

Deux tendances existent : ceux qui pensent que ces deux réalités ne s’excluent pas, d’autres qui y voient très clairement, au mieux, un paradoxe insoluble, au pire, de l’hypocrisie. À vous, lecteurs avisés, de tirer vos conclusions et, comme on dit, affaire à suivre…

Une fois n’est pas coutume, cette dernière chronique s’intéresse à une question de culture plutôt que de traiter directement d’un événement culturel. Selon l’Unesco, « La culture, dans son sens le plus large, est considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. » Si la culture est le socle commun qui relie tout un chacun dans la société, l’apprentissage de cette culture semble tout aussi important. Cet apprentissage est le garant d’une certaine qualité et d’une certaine ouverture d’esprit. Aussi, quand une université qui forme les avocats et les juges de demain voit ses procédés remis en question par plusieurs provinces (Ontario également), il est intéressant de se demander à quel point l’environnement culturel est influencé par les établissements d’enseignement.