le Mardi 18 mars 2025
le Lundi 17 février 2025 17:15 Société

Crise des opioïdes en Colombie-Britannique : entre l’urgence des décès et le temps long de la guérison

Crise des opioïdes en Colombie-Britannique : entre l’urgence des décès et le temps long de la guérison
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Depuis bientôt dix ans, un état d’urgence sanitaire est déclaré en Colombie-Britannique qui fait face à une augmentation exponentielle de décès liés aux overdoses de drogues. Principale cause : le mélange des substances avec des opioïdes tels que le fentanyl. Acteurs de terrain, médecins et politiques divergent sur les méthodes à mettre en place pour pallier l’urgence.

Suzanne Leenhardt – IJL – Réseau.Presse – Journal La Source

L’équipe de All Nations Outreach sillonne les rues de Vancouver-Est pour apporter de l’aide aux personnes en prise aux addictions. | Crédit: site web All Nations Outreach

James Harry se décrit comme « l’ami autochtone sur lequel on peut compter » quand il parcourt les allées du centre-ville Est de Vancouver. Le fondateur de l’organisme All Nations Outreach est membre de la nation Haisla installée à Kitaamat, sur la côte nord de la Colombie-Britannique. Avec son équipe, il offre des repas chaque semaine aux personnes vivant dans la rue à Vancouver et majoritairement en prise aux addictions. Parallèlement, il tente de faire revenir les membres de sa communauté à Kitaamat. « La rue, c’est leur zone de confort. Notre but c’est de les sortir de là, leur proposer un café, leur faire sentir qu’ils comptent, entamer une discussion sur un traitement », pose-t-il. Alors que les Premières Nations représentent seulement 3,3% de la population de la province, on compte 16% d’entre eux dans les décès liés aux surdoses en 2020. « Beaucoup fuient leurs traumatismes et leurs mauvais souvenirs», souligne James Harry en référence aux écoles résidentielles où les autochtones ont subi des violences sexuelles et psychologiques jusqu’aux années 1990.

Depuis l’année 2016, un état d’urgence sanitaire est déclaré en Colombie-Britannique face à l’explosion des décès liés aux surdoses de drogues. D’après le dernier rapport des services du coroner, en 2024, 2 253 personnes sont mortes suite à la consommation de drogues non réglementées. Si cela représente une baisse de 13% par rapport à l’année dernière, ce chiffre a quintuplé en dix ans. L’ajout d’opioïdes dans les produits en est la principale cause : dans 78% des décès, le fentanyl a été détecté. À la vitesse à laquelle ces substances très addictives apparaissent sur le marché noir, les acteurs de terrain et les autorités régulatrices se livrent à une course-contre-la-montre.

Un projet de décriminalisation limité

Pour limiter l’explosion des décès, en 2023, Santé Canada a accordé à la Colombie-Britannique une exemption à la loi pour que les usagers de drogues puissent détenir moins de 2,5 grammes de substance illicite à usage personnel. Pour les soutiens du projet, cela aurait permis d’améliorer la sécurité des usagers de drogues en limitant leurs craintes d’être arrêtés.

Sur le terrain, James Harry reste sceptique. « Je ne vois le bénéfice de cette mesure que pour les dealers qui peuvent se déplacer en toute tranquillité. Eux s’en fichent du nombre de morts. Quand un de leurs clients meurt, ils passent au suivant », soupire-t-il. Un an après, les autorités font marche arrière et restreignent les lieux autorisés : cette exemption n’est plus possible dans les espaces publics.

L’accès à des produits sécuritaires en question

Une autre mesure importante avait été avancée par un comité d’examen des services du coroner de la province, en novembre 2023 : l’accès à des opioïdes sécuritaires sans ordonnance pour les personnes dépendantes. Mais celle-ci n’a jamais vu le jour suite à de vives oppositions des autorités provinciales et au regret d’ancien coroner en chef de la province, Lisa Lapointe.

De son côté, le ministère de la Santé l’assure : « Il n’existe pas de solution unique pour mettre fin à cette crise. Il faut un éventail de mesures de soutien pour que chacun puisse trouver les soins qui lui conviennent ». Pour l’heure, le ministère appuie la distribution de « trousses de naloxone », un médicament permettant d’inverser les effets d’une surdose d’opioïdes. Depuis le lancement du programme, plus de 2,65 millions de ces trousses ont été expédiées, d’après les services provinciaux.

Après la survie, la question de la santé mentale

Centres de consommation supervisés, centres de désintoxication, visites médicales… les besoins diffèrent pour chacun, mais le premier pas pour se soigner est parfois compliqué. « Un de nos jeunes membres s’est retrouvé dans la rue à 20 ans. Ça m’a pris deux ans avant qu’il ne soit prêt à prendre un café avec moi », témoigne James Harry. Parfois, il arrive à convaincre une personne d’entamer des soins et fait alors le voyage de presque 20 heures jusqu’à un centre de traitement de Prince Rupert pour l’éloigner de la ville. « Une fois que la personne nous fait confiance, elle peut se diriger vers une vie meilleure. Et cette confiance n’a pas de prix », pose le directeur de l’organisme. Sobre depuis onze ans, il sait de quoi il parle.