En plein mois de juin, du temps où il faisait chaud, à l’angle de deux avenues parisiennes, en écoutant Amy Winehouse, je m’arrêtai dans un kiosque, car à Paris les journaux se vendent en kiosque et non dans des bornes vertes ou grises. Il est rare, disons-le, que la presse française s’intéresse à Vancouver. Depuis les J.O., nous n’avions aucune nouvelle. Mais là, plusieurs hebdomadaires et quotidiens reprenaient en boucle, dans leurs rubriques “Photo de la semaine” ou “Anecdotes” la même image : le baiser de Vancouver.
Cette photo d’un couple à terre pris durant les émeutes de juin à Vancouver. J’ai appris depuis, comme tout le monde, que la jeune fille avait en réalité été blessée. Ce qui ressemblait alors à un baiser n’était finalement qu’un homme allongé sur une femme pour tenter de lui porter assistance. Mais sur le moment, lunettes noires et promenade dans les jardins des Tuileries, l’image disait beaucoup : d’une part, Vancouver était romantique ; de l’autre, Vancouver était rebelle. Sur la photo, le décor est chaotique, les forces de l’ordre contre des gens en fuite, et bien que ce soit pour du hockey, on sent le frémissement de la ville qui s’éveille.
En France, cela n’a échappé à personne, la grève est une tradition. Depuis que j’ai quitté la France, il y a de ça deux mois, les transports ferroviaires, les compagnies aériennes et le personnel de l’Education Nationale ont déjà manifesté dans les rues et ralenti leurs services à plusieurs reprises. Cela fait partie du quotidien. On n’est jamais surpris quand cela passe au journal télévisé. Vancouver, depuis juin donc, se rebelle : le terme émeute recouvre les unes et le mouvement Occupy Wall Street s’amplifie. À croire que Vancouver se francise. La nervosité de la ville lui donne un air de transe qui lui va bien et que Richard Lam a joliment capté avec sa photographie.
Mais parallèlement, maintenant que je me trouve à Vancouver, je peux dire qu’elle est plutôt “apaisante”. En arrivant sur Canada Place, l’osmose dans laquelle les forêts, l’eau et les buildings se mêlent, m’a reposé. L’air épuré et vivifiant fait oublier la pollution de la capitale française. Et le calme, aussi, la fluidité de la circulation sans klaxon ni insulte, et l’allure posée avec laquelle déambulent les citadins, moi qui d’habitude trépigne devant les individus trop lents dans les couloirs du métro parisien.
Il y a, surtout, à Vancouver, une gentillesse, une courtoisie, une certaine élégance dans les rapports humains. Envolées les mines défaites et graves des usagers des bus, qui ont fait place à des « Thank you ! » enthousiastes qu’on hurle ici en sortant par la porte arrière. Malgré moi, j’inquiétais les automobilistes en traversant en dehors des passages pour piétons, ce qui est la règle à Paris. À l’université, l’une de mes professeurs nous a distribué des Smarties pour nous faire plaisir – mes amis français et moi en sommes restés sans voix.
Douceur et candeur des Vancouvérois, toujours prêts à renseigner, et souvent même à se risquer à ma langue naturelle. De l’anglais au français, du français à l’anglais, naviguer, et aussi, appréhender de nouveaux mots avec l’exotisme du québécois. Ainsi, depuis deux mois, je n’achète plus : je magasine. Je ne magasine d’ailleurs plus de la crème fraîche, mais de la “crème sûre”. Les goûts de certains aliments ne sont pas modifiés mais “simulés”.
Ainsi, noter tout ce nouveau vocabulaire, fermer les yeux et profiter de la fraîcheur de l’air, les rouvrir pour apercevoir les monts enneigés au loin, et s’il pleut, ouvrir le parapluie et regarder les couples main dans la main courir s’abriter. Ou alors s’embrasser sous la pluie, comme dans les comédies romantiques. À Vancouver, apparemment, tout commence et tout finit par un baiser.