Little Saigon:
Quartier ethnique et diversité culturelle font-ils bon ménage ?

« Que voyez-vous aux Jeux d’Hiver de Vancouver ? Je vois le drapeau jaune onduler dans le vent, agité par un ciel poétique. Je me sens chaud comme Saïgon, au Printemps. Je tombe dans le rêve : Saïgon-Vancouver. »

Les vietnamiens accueillent les jeux olympiques de Vancouver 2010

Les vietnamiens accueillent les J.O. de Vancouver 2010
Photo courtoisie de la Vietnamese Cultural Activities Society

Nul ne sait si ces quelques vers écrits en 2010 par Binh Tran ont trouvé un écho favorable auprès de la gente féminine. En déclarant ainsi sa flamme, le président du Vietnamese Cultural Activities Society aura néanmoins assuré l’essentiel : séduire le Conseil municipal.

Le 6 octobre 2011, ce dernier avait accédé à une pétition signée par 3000 habitants, la plupart d’origine vietnamienne, qui souhaitaient voir leur quartier de Kingsway être rebaptisé Little Saigon.

Après Chinatown, Little India ou encore Japantown, le Grand Vancouver comptera peut-être bientôt un nouveau quartier ethnique1. Des bannières à ce nom fleuriraient alors aux côtés des pho-restaurants, comme pour signifier le parfum d’un retour au pays.

Little Saigon sera une des fleurs du Canada multiculturel. Depuis des années, les Vietnamiens participent aux événements canadiens.

~~ Binh Tran, président du Vietnamese Cultural Activities Society

Des quartiers toujours en vogue

Appréciées par les habitants et les curieux, ces zones identitaires représentent-elles un danger pour l’unité d’une ville multiculturelle ?

« Pas du tout » assure Kerry Kang, conseiller municipal impliqué dans la création de Little Saigon. « Cela se pratique beaucoup à travers le monde et ne comporte aucun risque de mise à l’écart. Chinatown, où il n’y a pas que des magasins chinois, est un endroit parfait pour fusionner», juge-t-il. Il est vrai que dans ce quartier qui se paupérise, des sans-abris de divers horizons côtoient chaque jour une population à majorité asiatique… C’est aussi cela le melting pot !

Dans leur étude de 2004 sur Les visages ethniques des quartiers de Toronto, Montréal et Vancouver, Fengh Hou et Garnett Picot expliquent que « La parenté et les liens communautaires peuvent inciter les nouveaux arrivants de même origine à se regrouper. »

Entraide, discriminations, prix modérés, facilités pour commercer, confort culturel et volonté de préserver les traditions du pays d’origine, sont les facteurs avancés pour expliquer la création de ces quartiers dont la population est en constante hausse depuis 20 ans.

Un risque de fermeture

A en croire les personnes interrogées, la volonté de partager une vie commune avec le reste de la société existe bel et bien. Binh Tran assure à ce propos :

Little Saigon sera une des fleurs du Canada multiculturel. Depuis des années, les Vietnamiens, reconnaissants envers leur pays d’accueil, participent aux événements canadiens”… drapeau jaune en tête.

En dépit de cette prétendue volonté de partage, il apparaît, selon l’étude, que le fait de vivre dans un quartier ethnique réduit les possibilités de fréquenter des gens issus d’origines diverses. Ainsi, selon l’indice d’isolement, la probabilité que des Chinois ne rencontrent que d’autres Chinois dans leur quartier était de 33% en 2001 à Vancouver contre 10% en 19812 .

Pour Juan, Canado-philippin arrivé à l’âge de 9 ans, ces aires risquent de rendre les gens moins ouverts. « Dans un pays libre, sans ségrégation, je trouve que d’autres moyens existent pour mettre en valeur sa culture d’origine », commente-t-il, un peu amer, en référence à Pinoy Town, le quartier philippin.

Little Italy : un exemple d’ouverture

Plus qu’un idéal de société, les quartiers ethniques seraient donc davantage à considérer comme une réponse à une situation de précarité. Arrivés en 1886 à Vancouver, les ouvriers italiens s’étaient vite installés à Little Italy, aujourd’hui connue sous le nom de Commercial Drive.

Comme en témoigne Raymond Culos, ancien résident du quartier et auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, la communauté s’était d’abord retrouvée à l’Est du centre ville, de façon à pouvoir vivre correctement avec ses propres institutions. A partir des années 70, bon nombre d’habitants ont alors profité de leur nouvelle réussite économique pour devenir propriétaires ailleurs, laissant aujourd’hui leur place à de nombreux immigrants venus d’ailleurs. Se regrouper avant de s’ouvrir : et si c’était cela la voie à suivre pour atteindre la véritable diversité culturelle?

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  1. Une consultation de la population du quartier est prévue pour début 2012 pour entériner ou non l’appellation Little Saigon.
  2. 25% pour les asiatiques du sud en 2001 contre 7% en 1981