C’est dans l’anticipation et la discrétion que naissent les plus belles collections. Celle de Robert Miele réunie toutes les qualités qui séparent celles-ci des simples amoncellements de pièces artistiques. En 1980, M. Miele se rend au Vietnam et découvre le mouvement Doi Moi, ou mouvement du renouveau, grâce à des amis locaux. Après avoir été mis pendant des décennies au service de la propagande communiste, les artistes vietnamiens avaient commencé à s’émanciper et à revenir vers un art plus libre. Influencé par les techniques et les artistes occidentaux, mais toujours profondément ancré dans la culture du pays, le Vietnam avait connu alors un formidable élan artistique, dynamique et créatif.
Des années de guerre, d’abord contre les Français, puis contre les Américains, avaient laissé l’art vietnamien pratiquement au point mort lorsque la paix fut définitivement acquise en 1975. Mais l’influence des occidentaux avait tout de même suffisamment imprégné les artistes vietnamiens pour qu’ils s’en souviennent et l’intègrent à leurs propres créations, tandis que l’école des Beaux-Arts de Hanoi (fondée par les Français en 1925) allait servir de socle au renouveau artistique du pays. Un art dont Robert Miele allait tomber amoureux.
A vélo ou à moto, sur des chemins de qualités inégales, M. Miele a parcouru le pays et rencontré de nombreux artistes dont les œuvres le séduisent à tel point qu’il ira jusqu’à emprunter de l’argent à ses amis pour les acquérir. “Je n’étais pas un homme riche, mais c’était tellement beau que, bon sang, je devais les obtenir et les faire découvrir !” nous dira-t-il. Aujourd’hui, une bonne partie de la collection est exposée à la galerie Lumen (88 West Pender). Une véritable chance pour les Vancouverois de découvrir cet art discret mais incroyablement expressif et diversifié. Une chance d’autant plus grande que les œuvres sont présentées en français et en anglais par le galeriste Emmanuel St-Juste.
Sur place, on découvre avec étonnement un art d’une infinie richesse dont la diversité et la qualité ne cessent de surprendre et d’enchanter le visiteur. C’est au doyen des artistes, Phung Ham, d’accueillir les visiteurs à travers la finesse de ses imprimés sur du papier fait main. Des scènes bucoliques de la vie ordinaire des Vietnamiens, allant d’une femme qui peigne ses cheveux à celle qui allaite son
enfant, en passant par celles que l’on peut voir affairées aux travaux des champs. Ces œuvres sont très rares, nous explique M. Miele, car une fois le bois gravé et recouvert d’encre, on ne peut plus guère imprimer le dessin qu’une dizaine de fois. Un dessin qui bien entendu à été gravé manuellement, et à l’envers, pour que le tableau final soit dans le bon sens.
Mais le mouvement Doi Moi ne s’arrête pas aux scènes traditionnelles. Dans un esprit tout à fait différent, l’artiste féminine Dang Hong Van fait éclore une peinture très riche de formes et de couleurs qui n’est pas sans rappeler le surréalisme et l’influence de Chagall. “Une femme très timide” nous raconte M. Miele, “C’est son mari qui m’a d’abord montré certaines de ses œuvres, elle ne voulait pas les exposer à l’époque”, dit-il du ton de celui qui est ravi d’avoir fait une excellente découverte. Elle est aujourd’hui internationalement connue. Dans un registre un peu différent, les peintures de Nguyen Ha Bac se démarquent par leur support peu commun : de la soie humide, mais retravaillée au fuseau et à la peinture européenne. Il en résulte un sentiment de plénitude et d’harmonie dont on a quelque peine à se détacher.
Ce qui surprend principalement, pour St-Juste, c’est de voir que si l’influence de la guerre est
encore bien présente chez certains artistes comme Nguyen Ngoc Fuam, l’art vietnamien n’est tombé ni dans le morbide ni dans le désespoir. Au contraire, c’est la formidable vitalité de cette partie de l’Asie qui s’exprime à travers la collection Robert Miele !
Galerie Lumen
jusqu’au 17 juin
88 W Pender, 2nd Floor