La librairie de Pemberton en Colombie-Britannique semblait petite, au milieu d’une rue presque vide, en face d’un parc de fortune et d’une mare sale. Elle était composée de deux sections assemblées n’importe comment et j’ai passé une grande partie de mon été 2006 à lire tous les livres de ces rayons qui suscitaient ma curiosité mais que je ne m’étais jamais donné la peine de lire auparavant.
J’avais déjà entendu parler de Génération X mais c’est seulement après avoir emprunté Polaroids of the Dead que le nom de Douglas Coupland a résonné en moi. Au milieu du livre, placé entre Kurt Cobain et Berlin Est, il y avait un essai au sujet de Vancouver, la ville natale de Coupland ; en particulier le pont Lions Gate. J’avais vaguement aperçu le pont en voiture entre l’aéroport YVR et Pemberton, n’en connaissant ni le nom, ni l’origine. Mais quelque chose dans la façon dont il le décrivait me fit aimer instantanément le pont et la ville dans laquelle il se trouvait. Coupland écrit :« un dernier geste de beauté… avant que nous n’entrions dans l’arrière-pays ». C’était cette phrase à elle seule qui me convainquit que j’allais déménager à Vancouver. A travers de vrais espoirs ou de fausses illusions, cela serait fait.
Le 24 octobre 2006, après avoir passé l’été à Pemberton et un bref retour chez moi à Calgary, j’ai déménagé à Vancouver. Le premier mois et demi s’est avéré être le plus affreux que la ville ait connu au niveau du temps. On m’avait prévenu pour la pluie, mais cet automne-là elle était constante. Un torrent si fort que mes vêtements étaient encore humides à la fin de la journée d’avoir marché jusqu’à mon travail le matin.
Du fait de ce déluge, vers la mi-novembre, l’eau du robinet était contaminée et pendant douze jours il fut conseillé à tout le monde de la boire seulement après l’avoir bouillie ou alors d’acheter de l’eau en bouteille. Vers la fin novembre, près de quarante centimètres de neige avaient envahi la ville en quatre jours. Je me souviens des coups de klaxons maladroits des automobilistes en difficulté, essayant en vain de monter la pente de la rue Davie. Cependant, un coup de théâtre mit fin à ce temps bizarre commencé en novembre ; ce fut la tempête de la veille de Hanoucca. Cela avait commencé par de petites rafales le soir du 14 décembre et ça s’est terminé avec plus de 10 000 arbres déracinés à Stanley Park, des fenêtres brisées, des coupures d’électricité et des meubles de patio envolés.
Cette nuit-là, je me souviens avoir vu, du 11ème étage de mon appartement du centre ville, les arbres couchés par le vent et presque parallèles au sol ; les lumières de la ville clignotaient dangereusement comme une enseigne au néon ballottée par le vent. Tandis que j’attrapais mon duvet pour aller dormir dans la baignoire, je me souviens m’être demandé si déménager à Vancouver avait bien été le bon choix. J’ai entendu le vent mugir à travers les murs jusqu’à ce que je m’endorme.
L’idée que Coupland se faisait de la nature sauvage s’est avérée être bien différente de la mienne. Dans l’avion venant de Calgary, cela avait été facile d’idéaliser tout ce qui, à Vancouver, serait automatiquement différent mais le décor a changé aussitôt après avoir touché le sol. Je me revois comme si c’était hier, fixer le panneau d’arrêt de bus qui se découpait sur le ciel, à côté de l’hôtel Landis sur la rue Hornby, en me demandant où était passée mon audace. Sans travail, sans amis, sans maison et sans réel-le perspective, un vide absolu me submergeait. C’était comme si je n’allais jamais m’intégrer et pendant un moment, l’image idyllique que j’avais fait mienne m’avait désertée.
Au fil du temps le doute s’est estompé peu à peu. J’ai trouvé du travail et un appartement en une semaine, je me suis faite quelques amis et après quelques temps certaines parties de la ville me sont devenues reconnais-sables et familières. Au lieu de représenter une menace, les lieux de la ville qui m’étaient encore inconnus sont devenus des endroits à explorer, à intégrer, des endroits où vadrouiller. Aujourd’hui, c’est mon ancienne ville de Calgary, lorsque j’y retourne, qui m’est devenue étrangère. Je sais que des morceaux de mon passé sont là, quelque part, dans cette vaste étendue qui se déploie, mais je ne les trouve plus.
Il fut un temps où Vancouver était ma version de l’arrière-pays, un endroit isolant et étrange, d’une culture qui m’était inconnue. Ce n’est pas drôle d’être dans la confusion tant qu’elle dure, mais elle disparait. Soudain, les noms des rues deviennent familiers, comme des pièces de casse-tête étant méticuleusement placée et puis le tour est joué. Maintenant, quand je vais à West Vancouver, je sais où Stanley Park commence, et je reconnais les immeubles modernes et vitrés de Coal Harbour. Je peux presque indiquer le moment précis où on va apercevoir de la chaussée sinueuse les flèches du pont Lions Gate.
Je connais bien la vue et, même après réflexion, je ne me rappelle plus ce à quoi ça ressemblait avant. Je ne saurai jamais combien mon amour pour Vancouver est une illusion, mais ça n’a plus aucune importance car après avoir lutté pour cette ville, je l’ai dans la peau.